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lundi, 24 novembre 2008

La Fontaine: le savetier et le financier

Jean de la Fontaine : Le savetier et le financier

Un savetier chantait du matin jusqu'au soir:
C'était merveille de le voir,
Merveille de l'ouïr: il faisait des passages,
Plus content qu'aucun des sept sages.
Son voisin, au contraire, étant tout cousu d'or,
Chantait peu, dormait moins encore.
C'était un homme de finance.
Si sur le point du jour parfois il sommeillait,
Le Savetier alors en chantant l'éveillait;
Et le Financier se plaignait
Que les soins de la Providence
N'eussent pas au marché fait vendre le dormir,
Comme le manger et le boire.
En son hôtel il fait venir
Le chanteur, et lui dit: or, ça, sire Grégoire,
Que gagnez-vous par an ? Par an ? ma foi, monsieur,
Dit avec un ton de rieur
Le gaillard Savetier, ce n'est point ma manière
De compter de la sorte; et je n'entasse guère
Un jour sur l'autre: il suffit qu'à la fin
J'attrape le bout de l'année:
Chaque jour amène son pain.
Et bien, que gagnez-vous, dites-moi, par journée?
Tantôt plus, tantôt moins: le mal est que toujours,
(Et sans cela nos gains seraient assez honnêtes)
Le mal est que dans l'an s'entremêlent des jours
Qu'ils faut chommer: on nous ruine en Fêtes.
L'une fait tort à l'autre: et monsieur le Curé,
De quelque nouveau Saint charge toujours son prône.
Le Financier riant de sa naïveté,
Lui dit: je vous veux mettre aujourd'hui sur le trône.
Prenez ces cent écus: gardez-les avec soin,
Pour vous en servir au besoin.
Le Savetier crut voir tout l'argent que la terre
Avait, depuis plus de cent ans,
Produit pour l'usage des gens.
Il retourne chez lui: dans sa cave il enserre
L'argent et sa joie à la fois.
Plus de chant: il perdit la voix
Du moment qu'il gagna ce qui cause nos peines.
Le sommeil quitta son logis,
Il eut pour hôtes les soucis,
Les soupçons, les alarmes vaines.
Tout le jour il avait l'oeil au guet: et la nuit,
Si quelque chat faisait du bruit;
Le chat prenait l'argent. A la fin le pauvre homme
S'en courut chez celui qu'il ne réveillait plus.
Rendez-moi, lui dit-il, mes chansons et mon somme,
Et reprenez vos cent écus.

Jean de la Fontaine, Le savetier et le financier, Fable II, Livre Huitième.

jeudi, 13 novembre 2008

J. Parvulesco: Reconnaître le Pôle indien du Grand Continent Eurasiatique

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ARCHIVES DE "SYNERGIES EUROPEENNES" - 1996

 

 

Jean PARVULESCO:

Reconnaître le Pôle Indien du Grand Continent Eurasiatique

 

Nos thèses géopolitiques sont désormais parfaitement connues, qui ouvrent le concept de la plue Grande Europe franco-allemande —le Pôle Carolingien— aux espaces eurasiatiques décisionnels de la Grande Sibérie et du "Projet Continental Grande-Sibérie" (PCGS), du Japon et de l'Inde, à la perspective révolutionnaire totale de ce que nous avons nous-mêmes su appeler l'Empire Eurasiatique de la Fin. A l'heure présente, l'axe fondamental de la politique eurasiatique franco-allemande apparait comme étant oriénté —et d'une manière particulièrement accentuée avec le retour du gaullisme au pouvoir— vers l'Inde, et partant, vers les nouvelles relations spéciales, aussi actives que profondes, en train de s'établir —souterrainement encore, mais comment faire autrement en temps de déréliction— entre la France gaulliste et l'Inde en marche vers l'émergence à terme rapproché de son nouveau Réveil National, voire de son Eveil Final. J'entends des relations spéciales destinées à forger en avant un autre destin du Grand Continent Eurasiatique, un autre destin de future politique planétaire impériale de celui-ci, et dont notre génération se doit à l'heure actuelle d'assumer héroïquement la nomination tragique et toutes les charges révolutionnaires de terrain. Car, devant faire face nuptialement au Pôle Carolingien, il est né, à présent, le Pôle Indien, réminiscence de l'Anabase initiatique de notre Alexandre le Grand, et de la haute lumière aryenne et védique d'avant l'obscurcissement de l'être en nous, et il se développe, inexorablement, au cœur même du mystère vivant de l'histoire mondiale à sa fin.

 

Aussi n'avons-nous plus à le cacher, des forces supérieures sont déjà à l'œuvre, dans notre camp et même hors de notre camp, des forces que l'on doit considérer, pour le moment, comme essentiellement occultes, des forces révolutionnaires mises en convergence par une nouvelle sommation polaire de l'histoire mondiale et qui, toutes, se trouvent engagées en avant dans le cadre du nouveau processus impérial planétaire dont le rapprochement franco-indien proposé, aujourd'hui, par le gaullisme visionnaire plus ou moins déjà en place à Paris, se veut le symbole ardent, la poussée d'avant-garde décisive, conçue pour qu'elle entraîne le reste, avec elle, et tout avec elle, vers les ultimes accomplissements de sa propre définition d'elle-même, et celle-ci déjà à l'œuvre, partout. Voir, à ce sujet, le travail de définition en profondeur, définition en termes de géopolitique impériale et révolutionnaire de l'actuelle histoire active du monde, auquel je me suis moi-même livré dans un récent entretien avec Mary de Rougement, Francis Mader et Nicolas Beaujolin, entretien publié par Vouloir,  Bruxelles, 1995, sous le titre Pourquoi la Géopolitique?, ainsi que tout le faisceau d'approches géopolitiques de combat dont Vouloir  s'est fait le véhicule européen privilégié, et qui se trouve en plein développement.

 

Ainsi se fait-il que, pour nous autres, tout ce qui tend à s'opposer au projet grand-continental révolutionnaire eurasiatique en cours —et plus particulièrement au rapprochement contre-stratégique transcendantal de la France et de l'Inde constituant déjà les fondations vives, irradiantes, l'axe central de toute politique grande-continentale eurasiatique, actuelle et à venir— nous apparaît comme une démarche subversivement concertée contre nous-mêmes, dont il faut que nous prenions immédiatement toutes les mesures visibles et cachées, pour mieux pouvoir en neutraliser la manifestation interceptée, et l'anéantir sur place.

 

Nous sommes en état de guerre politique totale pour la libération ontologique du Grand Continent et pour la domination finale du monde et de l'histoire finale du monde à sa fin, et tout ce qui fait obstacle à notre volonté impériale d'être et de liberté, à notre volonté de liberté ontologique et cosmique, doit être anéanti, et le sera en temps utile.

 

Quelles responsabilités pour l'actuelle crise stratégique franco-indienne?

 

La vigilance, une extrême vigilance de chaque instant, nous semble donc plus que jamais a l'ordre du jour. Car ce n'est quand même pas pour rien que le gouvernement du Premier Ministre indien Narasimha Rao s'est vu dans l'obligation d'annuler —au dernier moment— la réunion, prévue pour novembre 1995, de la "Comission Economique Franco-Indienne", ce qui a également eu pour effet non seulement du suspendre la visite officielle du ministre français de l'Industrie, Yves Galland, mais aussi de bloquer le départ pour New Delhi, organisé, tout comme la visite du ministre de l'Industrie, à l'occasion des travaux de la "Commission Economique Franco-Indienne", d'une cinquantaine de grands patrons représentant les industries françaises de pointe, ainsi que de certains éléments d'encadrement du "Centre National du Patronat Français" (CNPF).

 

L'attitude négative de la partie indienne, plus que justifiée, aura manifestement été provoquée par le fait que, à l'heure actuelle, le Pakistan négocie —très ouvertement, dans une dialectique de sidération— avec Serge Dassault et les délégations françaises à l'armement et certaines autres, l'achat stratégique, pour un montant de base —qui sera sûrement à revoir ultérieurement à la hausse— d'au moins 5 milliards de francs, de 40 Mirages 2000-F armés du nouveau missile français air-air Mica. Dans les milieux politico-militaires, voire diplomatiques, proches du gouvernement d'Islamabad, on prétend —et l'on va s'évertuer même à ce que cela ne tarde pas trop à se savoir— que le feu vert nécessaire, et même que tous les feus verts ont déjà été donnés par les autorités gouvernementales fransaises compétentes, et que la signature définitive de l'accord final interviendrait avant la fin décembre 1995.

 

Le fait est donc certain que, grâce aux vecteurs supersoniques ainsi fournis par la France, New Delhi risque de se trouver bientôt à la portée immédiate d'une intervention nucléaire directe du Pakistan: situé à 300 km de la frontière pakistanaise, New Delhi peut être atteinte en 3 minutes par les Mirage 2000-F supersoniques adaptés à la véctorisation des engins nucléaires pakistanais.

 

Il faut aussi ajouter à cela que le contentieux franco-indien va se révéler déjà alourdi par la fourniture en cours, au Pakistan, de trois sous-marins français conventionnels de la classe Agosta, armés des missiles ultra-modernes SM 39, dernière réalisation majeure de la technologie militaire française actuelle, sous-marins que les chantiers de Cherbourg ont pris en charge pour le compte d'Islamabad.

 

"Les quinze premiers stagiaires du chantier pakistanais KSEW —l'apprend-on par Le Monde, sous la signature réputée significative de Jacques Isnard— viennent d'arriver à l'arsenal de Cherbourg pour y être formés. D'ici à 1999, deux cent quarante Pakistanais passeront par l'arsenal. L'accord prévoit que le premier sous-marin sera construit à Cherbourg. La coque du deuxième bâtiment sera livrée en tronçons montés par le client. Des sections du troisième sous-marin seront assemblées dans les chantiers au Pakistan" (Le Monde, 28.XII.1995).

 

L'actuel gouvernement gaulliste de Paris, dont nous connaissons pourtant les orientations géopolitiques et le projet grand-continental révolutionnaire d'avant-garde, entendrait-il donc soutenir, ainsi, ouvertement, et en quelque sorte contre ses propres positions métapolitiques constitutionnelles de base, le dispositif d'encerclement continental de l'Inde et l'investissement stratégique de l'ensemble méridional, océanique, du Grand Continent, par les forces de la ligne du front islamique fondamentaliste, ligne de front supranationale, subversivement engagée, ces forces, sur l'arc de cercle allant des Philippines et du Pakistan jusqu'au Maghreb destabilisé par le même fondamentalisme révolutionnaire, nocturne, antihumain, et dont l'heure s'annonce aussi comme tout à fait proche —soutenue ou non par la Turquie— sur le flanc Sud des espaces en refondation politique totale ayant appartenu à l'ancienne Union Soviétique où à ses zones de pénétration ou d'influence?

 

Conme une tache douteuse sur un cadavre récemment maquillé, apparaît donc ici une très flagrante contradiction entre les grandes doctrines géopolitiques du gaullisme révolutionnaire actuellement au pouvoir à Paris ne fût-ce qu'en la personne de Jacques Chirac, le gaullisme foncièrement attaché aux projets concernant le proche avenir impérial du Grand Continent eurasiatique et aux engagements de l'Europe à l'égard du Pôle Indien émergeant, et les décisions subversivement aliénantes d'une administration politiques indûment encore en place, non entièrement reconsidérée à cette heure, et qu'il s'agit donc de faire réglementer au plus vite. Et je préciserai, la mettre au plus vite hors de l'état de nuire.

 

N'est-il pas, alors, de notre devoir de publier, ouvertement et tant qu'il est encore temps, une contradiction qui en l'occurrence nous semble des plus troublantes, voire des plus suspectes, et, surtout à suspecter? Or c'est bien ce que nous faisons, nous suspectons certaines instances administratives en place soit d'inadvertence manifeste et dans tous les cas coupables dans la conception même de leurs initiatives, soit de haute trahison car, n'est-ce pas, co-ment appeler autrement le fait de servir les intérêts d'une puissance étrangère mobilisant sa volonté de domination planétaire contre les plus hauts intérêts politico-révolutionnaires nationaux et grands-continentaux eurasiatiques de la France?

 

Et d'autant plus troublante, cette soudaine “obstaculisation” de la politique grande-continentale eurasiatique commune de la France et de l'Inde que les deux portes de verrouillage et de contrôle du flux des décisions administratives supérieures de l'Etat français, le Secrétariat Général de la Présidence de la République et la Direction de Cabinet du Premier Ministre, se trouvent entre les mains de, respectivement, Dominique de Villepin et Maurice Gourdault-Montagne, tous deux des diplomates de carrière ayant effectué des longs séjours en Inde, dont ils connaissent les problèmes actuels, et que l'on connaît comme entièrement acquis à la cause de l'Inde et à la ligne indienne secrète qu'avait en son temps définie, pour ceux du "premier cercle", le Général de Gaulle lui-même. Il nous reste à tirer au clair le contexte profond où s'est développée cette "troublante affaire", et, surtout, ce qui se dissimule spectralement derrière celle-ci, dans une succession de faux-fonds encore plus troublante, obscure et mortelle.

 

Les Etats-Unis poussent la Chine contre le Bloc Eurasiatique

 

Car, en Asie, la terre brûle. Les feux des volcans souterrains de l'histoire grondent à nouveau, les invisibles digues de la paix menacent de voler en éclats. L'avènement au pouvoir, à Paris, d'un Président de la République incarnant une nouvelle rémontée du "grand gaullisme" révolutionnaire et, de par cela même, la soudaine réactivation politico-stratégique du Pôle Carolingien et des projets grands-continentaux eurasiatiques véhiculés par celui-ci, a forcé les Etats-Unis à y répondre par une contre-offensive du même niveau planétaire.

 

Aussi le premier objectif de l'actuelle contre-offensive anti-européenne de Washington apparaîtra-t-il comme étant celui d'installer d'urgence un contre-feu grand-continental eurasiatique en s'engageant à soutenir une nouvelle émergence politico-militaire de la Chine pour faire pièce, sur le Front Sud du Grand Continent, aux mobilisations en cours du Japon, de l'Inde et de la Russie Sibérienne dans le cadre de la nouvelle unité continentale promue par l'Europe du Pôle Carolingien.

 

De même que, avec la Guerre du Golfe, les Etats-Unis avaient déjà essayé de couper l'Europe de l'Ouest de ses sources d'approvisionnement pétrolier les plus immédiates, les Etats-Unis comptent à présent tourner la future identité impériale du Grand Continent Eurasiatique par le Sud, en exacerbant, sur le terrain, le fondamentalisme révolutionnaire islamique tout en faisant semblant —dialectique opérationnelle du leurre— de le combattre à outrance.

 

Une des stratégies opérationnelles spécifiques de la CIA —et autres agences assimilées— exige, en effet, certains l'ont quand même bien compris, que, lors de la mise en marche de toute grande manœuvre politico-stratégique d'ensemble, l'exhibition préliminaire soit prévue d'un écran diversionnel et de contre-assurance: à l'instant même où Washington décide de soutenir la formidable révolution islamique fondamentaliste naissante, les agences de désinformation active de la CIA s'arrangent pour que par la voie des médias sous contrôle ou par des canaux diplomatiques à couvert l'on apprenne que les Etats-Unis s'engagent à fond dans le combat contre la subversion fondamentaliste planétaire, envisageant de conduire des opérations de déstabilisation intérieure en Iran. Un nouveau budget de 20 millions de dollars a même été officiellement approuvé, le 21 décembre 1995, par la Chambre des Représentants, pour "modérer", par des voies plutôt spéciales, ce que le speaker Newt Gingrich appelle, lui, et d'ailleurs à juste titre, la "menace permanente pour la vie présente sur cette planète" venant de la part d'un "Etat terroriste", etc.

 

D'une manière analogue —la même stratégie du leurre, de l'écran en dédoublement diversionnel— au moment précis où Washington avait décidé son opération de déstabilisation intérieure du nouveau pouvoir gaulliste grand-européen en place à Paris, déstabilisation envisagée par l'exacerbation de certains conflits sociaux d'envergure, de nature de plus en plus ouvertement insurrectionnelle, visant jusqu'à la rupture intérieure même de la société française actuelle, des conflits, par ailleurs, manigancés et conduits, secrètement, sur le terrain, par des éléments de la CIA opérationnellement détachés sur Paris et sur toute la France, la CIA montait, en plus, une action d'écran préventionnel où certains de ses éléments —plus ou moins déjà "brûlés"— étaient sacrifiés à dessein —et ce sur des indiscrétions directement filtrées depuis l'Ambassade des Etats-Unis a Paris— dans la cadre d'un montage obligeant quand même les structures françaises de sécurité à procéder au démantèlement d'un soi-disant "réseau américain", fabriqué de toutes pièces, un fantasmagorique "réseau américain de renseignement, de pénétration et d'influence à couvert des milieux gouvernementaux et diplomatiques parisiens", en somme le double en faux du vrai lui aussi là, mais celui-ci profondément secret, et déjà prêt à servir, à passer à l'action.

 

De manière à ce que, ultérieurement, et pour être plus précis à la veille même du déclenchement des grèves insurrectionnelles organisées, en France, en décembre 1995, par la CIA agissant à travers ses entrées spéciales à Force Ouvrière et au sein aussi de certains clans dormants de la nébuleuse trotskyste, Washington puisse annoncer, officiellement, que la CIA se serait vue intimer, sur dispositions supérieures, de renoncer immédiatement à toutes ses activités de renseignement ou d'influence à couvert en territoire français.

 

Enfin, du point de vue de l'impérialisme planétaire grand-océanique des Etats-Unis, la mission géopolitique dérivée de la Chine happée par leur propre dispositif d'intervention vers le cœur du Grand Continent Eurasiatique devient ouvertement une mission anti-continentale, de poussée divergeante et déstabilisatrice, mettant directement en danger les passions communautaires grand-continentales de l'Inde, du Japon, de la Grande Sibérie. Et ne l'oublions pas: la nouvelle émergence politico-militaire de la Chine en tant que superpuissance eurasiatique et planétaire devant faire contre-poids aux projets européens pour l'engagement révolutionnaire impérial du Grand Continent passe, aujourd'hui, par la normalisation —dans le sens brejnevien du terme, le bon, que l'on avait si parfaitement su exploiter, le bel été 1968, à Prague— de l'ensemble de la situation politique du Sud-Est asiatique et, surtout, par l'intégration forcée, à brève échéance, de la "province rénégate" de Taïwan.

 

D'où le formidable regain des mouvements de forces en remontée, encore indéchiffrables, des activités politico-militaires souterraines dans tout le Sud-Est asiatique, mouvements dont le Pakistan sous l'invisible contrôle américain, représente aujourd'hui la plate-forme opérationnelle décisive, lieu de rencontre et de compétition révolutionniare des poussées américano-chinoise et américano-islamiste, en attendant que le troisième terme américain finisse par devenir lui-même invitation à un choix non dialectique, et comme le butoir même de la déflagration finale.

 

Et que revive le Pôle du Soleil Levant!

 

De toute évidence, c'est bien pour répondre au retour en force de la Chine sur la scène de l'histoire actuelle du Grand Continent que le Japon a déjà dû prendre confidentiellement une série de contre-mesures en projet qui, par des paliers successifs, ont fini par faire que, aujourd'hui, l'Empire du Soleil Levant —ce que nous appelons le Pôle du Soleil Levant de notre futur Empire Eurasiatique de la Fin— dispose du deuxième budget militaire national de la planète, immédiatement après les Etats-Unis.

 

D'autre part, Tokyo est à l'heure actuelle en train de procéder —vue la situation de plus en plus dramatiquement préoccupante dans la région, où la Chine ne pourra désormais plus ne pas agir ou, comme on dit, "ne pas commettre l'irréparable" à l'intégration accélérée en une seule structure opérationnelle sommitale des services de renseignements politico-militaires des trois Armées - Terre, Air, Mer de l'Etat-Major Général, et du Ministère de la Défense.

 

En même temps, émanation directe du sommet intégré des services de renseignements militaires, une "délégation spéciale, permanente et secrète" va prendre sous son contrôle immédiat la direction générale du nouvel ensemble en préparation des services civils de la sécurité. Des informations de source tout à fait certaine et amie font en effet état non seulement d'une très prochaine "réorganisation en profondeur" de l'ensemble des forces civiles de la sécurité nationale, mais aussi de la mise sur pied, en urgence, de nouvelles structures de renseignement politico-opérationnel se situant à des niveaux inhabituels, polarisés par les dialectiques spéciales de la "guerre secrète", voire la "guerre occulte" et les zones d'investissement social et des influcnces politiques et culturelles clandestines de celle-ci. De tous ces changements en cours, une assez vertigineuse signification semble se dégager, qui concerne en premier lieu le renouveau intérieur de notre Pôle du Soleil Levant et sa nouvelle émergence impériale actuelle, eurasiatique et planétaire.

 

Le retour, au Japon, des Forces Armées au premier plan du pouvoir politique agissant ne saurait cependant pas être fait ni même envisagé —on le comprendrait à moins— sans l'appel à une couverture tout à fait massive des forces civiles nationales. Ainsi la désignation à la tête du "Parti Libéral Démocrate" (PLD) de Ryutaro Hashimoto, vice-premier ministre, en charge du MITI (Ministère du Commerce International et de l'Industrie), l'homme de la ligne nationale et impériale japonaise la plus intransigeante face aux Etats-Unis, ainsi que l'élection, le 27 décembre dernier, d'Ichiro Ozawa, à la direction du Parti de la Nouvelle Frontière, le Shin-shito, doctrinaire d'une réconsidération totale de la place actuelle du Japon dans le cadre de la nouvelle politique planétaire, prennent-elles soudain une importance qui dépasse de loin le seul plan des affaires politiques intérieures nippones, pour rejoindre la zone décisive suprême où émerge à nouveau le Pôle du Soleil Levant et ses grandes missions eurasiatiques et planétaires.

 

D'ailleurs, dans l'ombre, les jeux sont faits: en avril 1996, ce sera bien Ryutaro Hashimoto qui sera le nouveau Premier Ministre du Japon, le douteux et néfaste Tomiichi Murayama, socialiste, devant passer à la trappe. Ou, peut-être, tout de suite.

 

Les retrouvailles de Jacques Chirac, de Jacques Chirac en tant que Chef de l'Etat français, avec le Japon, porteront donc Jacques Chirac, en juin prochain, à la rencontre de Ryutaro Hashimoto, l'homme du Grand Renouveau, tout comme, pour sa nouvelle rencontre avec l'Allemagne, le nouveau Chef de l'Etat français s'est porté à la rencontre de Helmut Kohl, à Baden-Baden, en décembre 1995, où s'est faite la Nouvelle Europe.

 

Jacques Chirac et Helmut Kohl, à Baden-Baden, décembre 1995

 

Or cette même évolution polaire au sein des services de renseignements militaires, interceptée au Japon, est très vite apparue en Europe aussi: à la suite de la réunion franco-allemande au sommet ayant eu lieu en décembre 1995 à Baden-Baden, entre Jacques Chirac et Helmut Kohl, la France, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne ont à leur tour décidé la mise en piste d'urgence d'une communauté polaire de l'ensemble des services de renseignements militaires européens, le "noyau dur" des quatre de Baden-Baden devant aussi assurer, par la suite, l'accueil des autres services de renseignements militaires des pays intégrant la plus Grande Europe.

 

En plus, lors de cette même réunion franco-allemande de Baden-Baden, il a été également décidé de la mise en commun de l'Aérospatiale française et de la DASA allemande (DASA, Daimler Benz Aerospace) dans le cadre d'un vaste programme européen pour l'industrie des missiles, des satellites et de la poursuite des projets spatiaux grands-européens. Ce programme prévoit la mise en œuvre immédiate du satellite-espion à infra-rouges Hélios II (12 milliards de francs) et du satellite-espion à radar Horus (13 milliards de francs). L'exécution de ces premiers programmes sera confiée, simultanément, aux usines allemandes de Friederichshafen et aux établissements industriels français de Cannes.

 

En fait, c'est bien le 8 décembre 1995, à Baden-Baden, que le noyau politico-militaire originel de notre futur Empire Eurasiatique de la Fin est né, et que "la saison de Yalta" a véritablement pris fin. C'est depuis ce jour-là que nous sommes libres.

 

Baden-Baden c'est en tout état de cause le Contre-Yalta, le triomphe final de l'Europe face à la conspiration géopolitique négative des Puissances Extérieures.

 

Ce jour-là, c'est la vérité de notre propre vérité qui nous a donc rendus libres, et les pouvoirs de projection historique directe de cette vérité déjà agissante-là, déjà à l'œuvre. Tombée, à Yalta, sous la domination des Puissances Extérieures dont, en premier lieu, les Etats-Unis et l'Union Soviétique, ainsi qu'en en subissant, dans l'ombre, le terrible assujetissement aux puissances occultes se tenant derriere celles-ci et les manipulant à des fins encore et toujours inavouables, l'Europe —la plus Grande Europe— retrouve donc à présent sa place dans la nouvelle histoire révolutionnaire du monde, et sa souveraineté entière, à Baden-Baden, où, tout comme le Général de Gaulle avait donné à la France sa liberté nucléaire, Jacques Chirac a donné à l'Europe sa liberté spatiale et supraspatiale ultime. Ainsi voit-on qu'il n'y a de liberté que militaire, qu'il n'y de liberté qu'impériale.

 

Quelque part, tout se passe comme si, forcé par les délais de la contrainte extérieure et les circonstances négatives intérieures que l'on vient de voir à l'œuvre, Jacques Chirac ait compris que, pour faire l'Europe —la Grande Europe— en temps encore utile, ce n'est pas l'Europe économique, ni même l'Europe politique, voire l'Europe des cultures qu'il faille envisager de faire, mais l'Europe Militaire. Idée impériale s'il en fut, à laquelle tous les partenaires européens de la France et l'ensemble des Pôles de Soutènement de la future grande entité impériale eurasiatique —le Japon, l'Inde— ne peuvent pas ne pas répondre immédiatement, et idée par laquelle la France y trouve automatiquement sa place centrale, décisive, sa place prédestinée. C'est l'dée pour laquelle il fallait se battre à mort. Et c'est pourquoi Jacques Chirac s'est battu à mort. Avec, à ses côtés, Helmut Kohl, jusqu'à la fin.

 

L'Europe Militaire, c'est l'Europe de l'Espace. Pour que l'on puisse se rendre compte de la portée profondément cachée, inavouable, des enjeux régis par la rencontre et les décisions au sommet prises en décembre 1995, à Baden-Baden, par Jacques Chirac et Helmut Kohl, il suffit de savoir que le fort suspect John Deutch, directeur démocrate de la CIA démocrate de Bill Clinton, s'est lui-même déplacé, par quatre fois, à Bonn, pour essayer de dissuader Helmut Kohl de suivre Jacques Chirac dans ses projets métapolitiques visionnaires concernant le Grand Continent Eurasiatique commis en chantier par le gaullisme révolutionnaire. De son côté, Bill Clinton n'a pas hésité à téléphoner lui-même, à plusieurs reprises, à Helmut Kohl, auprès duquel il dépêcha aussi, au moment culminant, l'étrange secrétaire d'Etat Richard Holbrooke ("l'homme sans bagages et de tous les chantages"). Mais rien n'y fit.

 

La vision gaulliste révolutionnaire hantant Jacques Chirac, la vision de la plus Grande Europe et de ses futures destinées impériales eurasiatiques, et la résolution inspirée, fidèle et géniale, allemande, de Helmut Kohl, sont parvenues, ensemble, à donner un nouveau commencement à l'histoire européenne du monde et aux destinées planétaires de l'Europe interdite d'histoire depuis 1945.

 

En décembre 1995, grâce à Jacques Chirac et à Helmut Kohl, une nouvelle superpuissance planétaire est née, la plus Grande Europe, mobilisant, pour commencer, 400 millions d'hommes et se trouvant déjà en mesure d'aligner une puissance politico-militaire, économique, démographique et culturelle face à laquelle les Etats-Unis se retrouvent dans une situation de seconde, voire de troisième position, situation que Washington et les tenants de la puissance américaine intérieure, occulte, sont loin de pouvoir accepter, même devant le fait accompli. La troisième guerre mondiale est donc en principe là.

 

Il est donc grand temps que la communauté polaire des renseignements militaires de l'Europe de l'Ouest —dont les buts plus proprement politiques sont encore tenus sous réserve— puisse passer au stade suivant, déjà. Stade où, dans la perspective de ce que nous appelons, nous, le projet de l'Empire Eurasiatique de la Fin, cette communauté polaire du renseignement militaire européen vienne à intégrer, aussi, les représentations au sommet des services analogues de la Russie, du Japon et de l'Inde.

 

''La Quatrième Clef de Voûte"

 

On voit bien à présent par où passe la ligne de front. Toujours indiscernable pour les regards non prévenus, un même ennemi —toujours le même— se tient à l'affût derrière tout ce qui s'oppose à l'actuelle volonté impériale grande-européenne de la France gaulliste et de ceux qui se sentent appartenir à la même communauté de haut destin, appelés par la même mission secrète suprahistorique.

 

Les grèves insurrectionnelles antinationales et anti-européennes de décembre 1995 en France, le sabotage des relations stratégiques de la France avec le Pôle Indien portent, nous nous en sommes quand même aperçus à temps, les traces corrosives de la même griffe. Il faut seulement réapprendre à voir, toutes les grandes batailles vont être, désormais, comme toutes les guerres vraiment grandes, de plus en plus occultes, de plus en plus située dans les territoires de l'invisible. Il faudra donc que nous nous y fassions, et tout de suite.

 

Ainsi, laissant brutalement de côté les prétextes de diversion nécessaires à la circonstancialisation de toute manœuvre poursuivie jusque sur le terrain, les grèves insurrectionnelles "françaises" de décembre 1995 n'avaient en réalité qu'un seul but, un but qui expliquera les étranges complicités de fait dont celles-ci avaient bénéficié de la part de qui l'on s'eût attendu vraiment le moins: car, en réalité, ce but stratégique de pointe était celui de saboter —sur le coup même, et en même temps d'installer les conditions d'une continuité de cette même action de sabotage dans le futur— l'actuelle politique totale d'intégration grande-européenne de la France gaulliste et partant d'empêcher la naissance de ce que Hervé de Charette, le ministre des Affaires Etrangères de Jacques Chirac, appelait, dans son extraordinaire entretien avec Le Figaro  du 20 décembre 1995, la Nouvelle Europe. Hervé de Charette: "Pour la première fois de notre histoire, nous allons réaliser l'unité de notre continent. Ce sera mieux que Charles Quint".

 

Dans Le Figaro  encore, Michel Massenet, Conseiller d'Etat, écrivait bien clairement, le 18 décembre dernier, au sujet de Marc Blondel: le leader FO vise l'Europe au cœur, et il le sait. Mais nous aussi on le sait.

 

Or tout cela devient d'une gravité ultime, dramatique, provocante, mais incontournable aussi, quand on a compris que dans les plans des agitateurs conspirationnels socialo-communistes et trotskystes le mois de janvier 1996 les masques devront tomber, tous, et que les mouvements insurrectionnels soi-disant syndicalistes vont se présenter ouvertement comme un "Front Social uni" contre l'Europe ("contre l'Europe et pour l'emploi", etc).

 

Il faudra donc faire le nécessaire. Car ces rassemblements de toutes les conspirations, de tous les complots anti-français et anti-européens mobilisés pour appuyer le grèves insurrectionnelles de janvier devront alors être tirés au clair, et il y aura dans ce cas des surprises exécrables et immenses à faire prendre en compte même chez certains de nos plus proches amis. L'histoire de France s'apprête à devoir vomir un long passé de ténèbres, et ce sera son rituel vomitto negro, toutes les boues noires de l'ancienne tragédie française et le grand renouveau salutaire.

 

D'autre part, nous avons tenu à situer dans son contexte profond l'actuel sabotage des relations stratégiques franco-indiennes. Point n'est-il donc besoin d'insister pour que l'on comprenne que, dans l'horizon dialectique de cet ensemble de considérations finales, l'inconcevable dérapage administratif français convaincu de fournir à un Etat qui, comme le Pakistan, appartient à la ligne de front des puissances subversivement engagées contre la France et contre la totalité agissante de la grande politique eurasiatique de la France gaulliste, du matériel stratégique hautement significatif, destiné à assumer un rôle singulièrement décisif dans les déroulements prévisibles d'une crise désormais sans doute prochaine, devient, en quelque sorte symboliquement même, une action dont il faut signaler, et produire, aussi, en direction de nos compagnons et camarades du régime gaulliste révolutionnaire actuellement en place à Paris, le suivi des culpabilités cachées, les mesures d'arrêt et de démantèlement de l'opération en cours, défaire donc par fidélité ce qui a été fait ou a failli se faire par trahison, envisager les sanctions exigées ne fût-ce que par l'extrême gravités des enjeux et de l'heure.

 

Telle est notre tâche, notre devoir et notre volonté d'être là, précisément, où nous appellent les missions qui sont nôtres. La sécurité politico-révolutionnaire qu'une entreprise géopolitique continentale de la taille de celle dont nous nous voulons et nous sommes l'avant-garde idéologique et activiste ne se divise pas, de même que ne se divise le principe agissant de l'Imperium dont nous annonçons le prochain avènement et dont le Pôle Indien est la quatrième clef de voûte, la clef de voûte tournée vers la lumière antérieure de notre propre être, de notre plus haute conscience révolutionnaire et impériale à venir.

 

Jean PARVULESCO.

 

lundi, 10 novembre 2008

André Malraux ou la quête de sens

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Laurent SCHANG:

André Malraux ou la quête de sens

 

Pour ceux qui aujourd'hui encore ne verraient en André Malraux que l'agent littéraire le plus talentueux de la IIIième Internationale, les éditions Gallimard ont eu l'heureuse idée de publier dans la collection “Folio” le texte longtemps inexploité de l'enfant chéri des lettres françaises, Les Noyers de l'Altenburg. Généreuse intention s'il en est, qui présente l'extrême intérêt pour les passionnés de l'auteur de L'espoir d'éclairer d'un jour nouveau le passage radical et trop longuement resté confiné dans les ténèbres de sa biographie, de son militantisme communiste à son action de protecteur des Arts gaulliste, évolution frappée du sceau impitoyable de la seconde guerre mondiale, dont le tourbillon déprédateur aura au moins eu l'effet salutaire de révéler Malraux à lui-même. De fait, Les Noyers de l'Altenburg  constituent, plus qu'une étape, un tournant dans l'œuvre de l'écrivain. Ecrit en 1941, cet «anti-rornan», tant Malraux semble y avoir abandonné tout projet romanesque, peut à bon droit se présenter comme le bilan d'une vie avant la mue définitive vers une autre dimension, spirituelle et métaphysique. D'une structure relati­vement lâche, touffue, sans unité marquée, la fascination opérée par Les Noyers...  ne provient pas tant du récit intrinsèque que de la métamorphose et de la mise à nu de son auteur, transfiguration nourrie, comme à l'habitude, par l'immensité des ré­flexions, que celles-ci soient religieuses, intellectuelles, politiques, historiques ou personnelles. De La Condition Humaine aux Anti-Mémoires, il n'y avait qu'un pas. Le voici franchi par Les Noyers de l'Altenburg.

 

Un appel à l'homme, à la civilisation, à l'esprit

 

Dans sa courte introduction, Marius-François Guyard note avec raison: «La vraie leçon des Noyers,  c'est la mort de toute idéo­logie qui refuse le mystère de l'homme et ignore les realités «charnelles», pour parler comme Péguy. Une référence au maître des Cahiers de la Quinzaine  fort à propos, pour ce roman inauguré dans la cathédrale de Chartres, en ce 21 juin 1940 de de­bâcle française. Prisonnier détenu dans ce vaisseau de pierre, abattu, écrasé par la fulgurance de la défaite, le narrateur (un Alsacien derrière lequel se dissimule à peine Malraux) se détache de sa sordide condition d'humilié pour se remémorer vingt-cinq ans plus tôt l'expérience parallèle de son père et trouver de nouvelles raisons d'espérer devant le chaos existentiel provo­qué par la soudaine réalité du vrombissement des colonnes blindées allemandes.

 

Les préoccupations essentielles de le pensée de Malraux ressurgissent au milieu de ses congénères que ne préoccupent que l'instinct de survie, plus prégnants que jamais: l'Homme, la pensée, l'action. «Je sais maintenant qu'un intellectuel n'est pas seulement celui à qui les livres sont nécessaires, mais tout homme dont une idée, si élémentaire soit-elle, engage et ordonne toute la vie. Ceux qui m'entourent, eux, vivent au jour le jour depuis des millénaires». Ce père, Vincent Berger, l'éminence grise du jeune colonel Enver Pacha délégué par le Ministère des Affaires Etrangères allemand à Constantinople en pleine déca­dence ottomane, c'est aussi Malraux. Diplômé en langues orientales, pétri de références nietzschéennes, «dans sa philosophie de l'action  —l'action passait avant la philosophie»— mais converti au socialisme, sorte d'anti-Lawrence d'Arabie germano-turc parti en croisade pour le mirage touranien, joué par la duplicité du IIième Reich, tout chez lui rappelle le passé communiste et militant du «premier» Malraux, engagé dans la guerre d'Espagne, propagan­diste infatigable mais peu considéré de l'Internationale, pour qui son appel à l'Homme, à la civilisation, à l'esprit n'était que “verbiage petit-bourgeois”. «Il avait pris son parti d'une erreur qui avait tant engagé de lui-même; mais avec le retour de la santé la haine venait: comme s'il eût été trompé, non par lui-même, mais par cette Asie centrale menteuse, idiote et qui se refusait à son propre destin —et par tous ceux dont il avait partagé sa foi». Eloquent.

 

Le sens de la vie se trouve au-delà de la dialectique

 

Et puis toujours, obsessionnelle, fatale, la quête de sens, la marche vers une civilisation spirituelle autre, sacrée mais sans dogme ni rituel, transcendante. La fin de sa révolte, Malraux l'imagine puissamment par la traversée du désert du père de son héros, perdu sous la voûte des nuages caucasiens, se ruinant la santé sur les pistes qui mènent à Samarcande, mais élevant son âme vers l'infini, le divin. Antoine de Saint Exupéry, autre Perceval saharien, ne formulera pas autrement ce face-à-face dépouillé avec l'éternité dans le gigantisme des mers de sable. Cette révélation universelle, «un secret qui était bien moins ce­lui de la mort que celui de la vie —un secret qui n'eût pas été moins poignant si l'homme eût été immortel», le mythe primordial qui confèrerait à l'homme un sens à sa vie bien supérieur au péché originel, Nietzsche s'y est brûlé les yeux, qui devint fou d'avoir percé le mystère... Descente aux Enfers magnifiquement retranscrite à laquelle a assisté Walter Berger, l'oncle de Vincent, ami du prophète de Sils-Maria et maître de céremonie des colloques de l'Altenburg, prieuré cerné de noyers où l'on disserte à l'envi sous l'égide des grands penseurs de ce monde: Nietzsche (bien sûr), Weber, Freud, George, Durckheim, mais aussi Pascal, Tacite, Mommsen, Platon. Dans les discours fumeux, gavés de la vaniteuse connaissance universitaire de pen­seurs par procuration n'écoutant qu'eux-mêmes, Vincent, revenu étranger dans un monde moderne qui le rebute en cette veille d'août 14, comprend, lui l'intellectuel, que le sens de la vie se trouve au-delà de la dialectique.

 

«Une civilisation n'est pas un ornement, mais une structure»

 

Si «l'homme est (toujours) ce qu'il fait» (cf Tchen dans La Condition Humaine), André Malraux sait désormais qu'une dimension infiniment supérieure l'habite, qu'il discerne sous les traits de la civilisation, évoquée comme annonciation du Nous universel par la transcendance du Moi. «Autrement dit, sous les croyances, les mythes, et surtout sous la mutiplicité des structures mentales, peut-on isoler une donnée permanente, valable à travers les lieux, valable à travers l'bistoire, sur quoi puisse se fonder la notion d'homme?» Approche qui défère au livre de Malraux une connotation éminemment contemplative, traditionnelle et guénonienne. L'immortalité, thème qui revient avec insistance («les millénaires n'ont pas suffi à l'homme pour apprendre à mourir», «On ne s'habitue pas à mourir»), Vincent la découvrira en juin 1915, les genoux et les mains plongés dans la terre gluante des plaines des bords de la Vistule irrémédiablement putréfiée par les gaz asphyxiants. Le progrès scientifique n'est qu'un leurre, «l'homme fondamental est un mythe, un rêve d'intellectuels», l'homme n'existe, vérité insoutenable pour le pen­seur, que parce qu'il est peuple de chair, non d'idée, un être pauvre, nu, sans force mais riche de sa communion magique avec la nature. Si pour l'intellectuel «la culture est une religion», le sens de la vie pour le commun des mortels réside dans sa ca­pacité à ordonner la civilisation en harmonie avec les forces de la terre, seule part d'éternité où l'homme-shaman (un terme qui revient lancinant au fil du récit) trouve sa place dans la joie et la grandeur originelle recouvrées. «Une civilisation n'est pas un ornement, mais une structure». Vincent sera emporté par les gaz, seuls résisteront sur le champ de mort aux vapeurs des combats, hiératiques, les noyers...

 

Le colonel Berger pouvait dès lors apparaître

 

Le roman s'achèvera sur le retour au narrateur, et ses souvenirs de chef de blindés devant la ruée de mai-juin 1940, son attente, pleine de pitié, de dénuement et d'acceptation sereine d'une mort qu'il croit certaine: «Ainsi, peut-être, Dieu regarda le premier homme».

 

Roman charnière dans l'ouvre et la vie d'André Malraux, Les Noyers de l'Altenburg  devait inaugurer une quadrilogie intitulée La Lutte avec l'Ange, projet inachevé, les manuscrits ayant été saisis par la Gestapo en 1943. Aux questions existentielles po­sées par le tout jeune Malraux de La Tentation de l'Occident, ce livre répond tout en annonçant chez l'auteur la transition d'avec les trois dates-clés de son «adolescence»: 1923, 1936 et 1940. Le colonel Berger (pseudonyme guerrier du Malraux de la bri­gade Alsace-Lorraine) pouvait dès lors apparaître.

 

Laurent SCHANG.

 

Les Noyers de l'Altenburg, Folio Gallimard, cat. 3, n°2997.

 

mercredi, 05 novembre 2008

L'aréopostale ou l'esprit du désert

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L'AéROPOSTALE OU L'ESPRIT DU DéSERT

 

Une figure littéraire et intellectuelle telle que celle de Joseph Kessel a trop peu souvent abordée, sauf, hélas, pour des commentaires trop conventionnels. Et pour cause, ce personnage, juif russe né en Argentine en 1898, ayant pris part dans le camp français lors du prernier conflit mondial, volontaire pour l'expédition française en Sibérie, grand-reporter lors de l'insurrection irlandaise de 1920, gaulliste aviateur dans les FFL à la carrière d'écrivain couronnée par sa réception à l'Académie Française en novembre 62, et mort en 1979 célébré dans toutes les écoles pour son Lion,  laisse perplexe et désoriente. Et pourtant...

 

Et pourtant la récente réédition chez Gallimard (collection Folio) du document Vent de Sable, histoire d'une rencontre avec l'excellence humaine, incarnée par l'héroïsme au quotidien des pilotes à tout à faire de l'Aéropostale, totalise un éclatant message de nietzschéisme ordinaire, aisément assimilable et à la méditation fort profitable pour tous.

 

un éclatant message de nietzschéisme ordinaire

 

L'Aéropostale, une aventure française (la dernière peut-être...) inaugurée le 25 décembre 1918 par le projet apparemment fou pour l'époque de M. Latécoëre de rallier Toulouse au Maroc puis à Dakar afin d'acheminer le courrier vital à la liaison métropole- empire saharien. Il faudra quatre années et des souffrances indescriptibles pour assurer enfin le raccord tant espéré. C'est cette histoire que nous retrace Kessel, un voyage entre Casablanca et Dakar, auquel il prit part et qui lui fit rencontrer, pour mieux se révéler à lui-même, la phalange exceptionnelle des héros qu'étaient les «gars» de l'Aéro, anonymes pour la plupart: Lécrivain, Reine, Serre, Daurat, Riguelle, Nubade et tant d'autres, célébrissimes pour quelques rares élus: Mermoz, Saint-Exupéry. Traversant le Sahara, passant successivement par Casa, Agadir, Fort Luby, Villa Cisneros, Nouakchott, Kessel fera la découverte d'une véritable armée de chefs, mécanos, pilotes, ingénieurs, relais dans le désert, traducteurs, tous régis par la même discipline cruciale qu'impose le désert aveugle, guerriers sans armes, aventuriers mystiques menés par l'élan de la jeunesse et les souvenirs des «cadavres sacrés» des hommes disparus pour la ligne.

 

Des hommes dont la seule noblesse est le service

 

De fait, Kessel s'attache plus à immortaliser le style de ces hommes héritiers des Guynemer, Fonck ou Nungesser, qu'user sa plume à célébrer les charmes cruels des sables brûlants de l'Ouest Saharien. Des hommes, tout au plus âgés de trente ans, presque des enfants, emplis d'un lyrisme simple, purs, vierges de l'influence néfaste des villes surpeuplées, animés par un sentiment de devoir quasi-religieux d'acheminer à bon port les précieux sacs postaux. Une foi dénuée de toute réflexion, nourrie par l'expérience, la fascination des espaces immaculés que saura si justement restituer Saint-Exupéry dans Terre des hommes  ou Vol de Nuit  (un prochain portrait littéraire de NdSE sera consacré à la figure d'Antoine de Saint-Exupéry), et que Kessel ressentira comme une catharsis fiévreuse imposée par la peur de la panne, la mise à mort par les rebelles maures, la soif étouffante, le soleil implacable, l'immensité désertique, le Rio de Oro («fleuve d'or») chanté par les garnisons espagnoles du Sahara Occidental.

 

Dans cette nudité absolue, détaché du monde moderne, Kessel redécouvre les vertus nées de 14 qu'il avait déjà relatées dans son livre L'Equipage, la fraternité exempte d'intérêt, «la camaraderie immédiate qui est le propre des hommes qui vivent dans le danger», le charme des risque-tout «pour le coup», la franche gaieté de ceux qui en reviennent, le souvenir recueilli mais sans voyeurisme de ceux qui sont tombés. Une philosophie de l'être excluant tout sens du tragique car vécu par des hornmes dont la seule noblesse est le service, et le destin, si capricieux pourtant, sans cesse nargué, méprisé.

 

Certains passages, dans un esprit éminemment proche de celui de Saint-Ex (qui à l'époque venait de publier Courrier Sud), percent à jour dans un style fluide et épuré l'intimité de cette caste nouvelle ayant dormé une âme à la mécanique, à l'inconnu qui ne connaîtra jamais les mille périls encourus par ces postiers de l'impossible.

 

«Ici le vertige de la vitesse et, surtout, le magnétisme, le sens du danger troublent ceux qui sont attirés sur des sables ou des fleuves inconnus, par le jeu éternel de la vie et de la mort (...) Ils ne portaient pas d'uniforme, chacun était vêtu à son goût et selon ses propres moyens. Ils n'avaient pas à risquer le bombardement ou le combat aérien. Mais les différences avec ceux qui vécurent en escadrilles les armées de guerre étaient toutes superficielles_ Le même signe était sur eux, la même insouciance, la même habitude du danger et la même simplicité (...) S'ils n'avaient pas d'ennemis humains à combattre, ils affrontaient chaque jour les sierras d'Espagne, les brumes nocturnes, les vents de sable, la chaleur, le désert. S'ils menaient une apparence de vie civile, une discipline tout aussi rigoureuse que celle de l'armée les régissait (...) Ce qui les rendaient surtout pareils à ceux que j'avais connus au front, c'était leur étonnante liberté d'allure et d'esprit, leur quiétude morale».

 

Une belle et intemporelle leçon d'humanisme

 

Ce texte, court reflet d'une époque et d'une mentalité en finalité analogue à celle des corps-francs transfigurés par les frères Jünger ou Ernst von Salomon dans des circonstances bien plus troubles, peut aujourd'hui paraître désuet et Kessel le savait qui prévoyait dejà le perfectionnement exponentiel et oublieux de l'aéronautique moderne.Il nous lègue néanmoins une belle et intemporelle leçon d'humanisme, écrivant en hommage posthume à l'écrivain, qui devait bientôt disparaître englouti par l'Atlantique, cet appel sans réserve à la jeunesse: «sans cette flamme intérieure qui le brûle et le dépasse  —qu'elle s'applique à une croyance, à une patrie, à un amour fou ou à leur métier— l'homme n'est qu'une mécanique indigne ou désespérée».

 

Laurent SCHANG.

 

Joseph KESSEL, Vent de Sable, Folio Gallimard, cat. 2, n°3004.

 

mardi, 04 novembre 2008

J.C. Albert-Weil: Veillons au salut de l'Empire!

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Veillons au salut de l'Empire!

 

«Le grand Empire, l'Empire central, l'Imperium, par opposition à l'Occident»

(Jean-Claude Albert-Weil, Sont les Oiseaux, 1996)

 

Fiction: en juillet 1940, Hitler parvient à forcer la main au général Franco qui laisse passer les troupes allemandes sur son territoire. Gibraltar tombe et les panzers, après avoir traversé le Maroc et l'Algérie, foncent sur Le Caire. 300.000 prisonniers français sont libérés et commis aux moissons. La popularité du vieux maréchal est au zénith. Un débarquement allemand a lieu en Irlande du Sud. Malte tombe aux mains des paras de la Luftwaffe de Goering. Churchill est mis en minorité et remplacé par Lord Halifax, qui fait la paix, en échange des puits de pétrole du Moyen Orient, qui restent sous contrôle britannique. Pourquoi faire la guerre dans ces conditions? Le succès de l'opération Barbarossa est quasi complet et, rapidement, les troupes de l'Axe font jonction dans le Caucase. Par un coup d'audace inouï (Skorzeny?), Vladivostok tombe. C'est la panique au Japon, qui se rapproche des Américains. Dans l'Empire, c'est le délire: d'ailleurs, à Berlin, on joue Sartre à guichets fermés! Dans cette atmosphère de triomphalisme, l'épuration ethnique dont sont victimes les Juiffss prend heureusement fin et l'Empire favorisera même, pour gêner les Anglais, la naissance d'un Etat hébreu, armé par l'Allemagne. A Berlin, l'aile modérée menée par Bibbentrop, le cher Otto Tabetz, ou Krommel élimine les “natzis” forcenés. Une fausse explosion nucléaire, vers 1943, calme les Américains, qui se contentent d'armer la résistance soviétique (Staline combat toujours en Yakoutie). Une vraie bombe, que le Führer obtient grâce à ses réseaux d'espions (juiffss?) aux Etats-Unis, assure définitivement la neutralité américaine. Hitler meurt le 30 décembre 1946, à la veille du réveillon. Speer, l'amiral Panaris et surtout Gersdorff entreprennent une première “dénatzification” et, de 59 à 78, Stendel, le Führer suivant, proscrit le racisme et le remplace par le différentialisme critériologique: les Juiffss sont incités à collaborer ou à émigrer en Israël, où ils forment une tête de pont de l'Empire.

 

L'existencisme: doctrine impériale

 

Mais le grand Führer, c'est Gessler (1978-1993): avec lui, l'Empire décolle. La Panfoulia, grande autostrade de Duinkerke à Vladivostok draine des millions de Volkswagen et l'élite du Parti se détend à l'hôtel Heidegger, un gigantesque paquebot planté sur le Mont Blanc. L'aide sociale est généralisée, mais jamais en argent: distributeurs de nourriture, soins médicaux, vêtements, tout est gratuit, et de qualité (pas d'engrais chimiques, d'élevage aux hormones, d'où un taux de cancer ridiculement bas dans l'Empire). Les sciences atteignent un niveau inouï: manipulations génétiques, chirurgie esthétique, drogues diverses... et la fameuse base secrète de Tsarskoïe Sélo!

 

La doctrine impériale est appelée “existencisme”, elle garantit le droit aux plaisirs sexuels les plus raffinés pour tous les citoyens. La publicité est interdite, l'intrusion télévisuelle limitée (TV interdite les samedis et dimanches de la Norvège à la frontière coréenne, interdiction de toute permanence médiale: après un an, les journalistes cèdent leur place et changent de service; pas de femme de minlstre qui bave à l'écran!), le sport spectacle est banni (un joueur de l'équipe de Milan est vraiment né dans cette ville... de parents milanais), l'endettement exagéré est illégal. Des lois favorisent les PME et forcent les gens à faire réparer tout appareil un certain nombre de fois, d'où l'existence de castes de réparateurs prospères et heureux. Toutes ces lois saines et de bon sens déclenchent la fureur de la presse “ploutocrato-ergono-aliénée-croyancialo-marxo-cosmopolito-médiacrato-religio-éthico pseudo-égalitaire-hyperdémographico-universo-droit de l'hommesque-planèto-destructive”.

 

L'Empire est résolument non humaniste et rejette sagement les droits de l'homme, qui ne sont jamais que “les droits du client”: “droit de chier des litanies de progénitures débilo-crédulo-proliférantes, pulluliques, malsaines, ivres de tuer leur prochain ou de leur passer la Grande Maladie”. Car la Maladie, venue de l'Ouest est interdite dans l'Empire: un corps d'élite veille et nettoie, liquidant impitoyablement malades infiltrés par les démothalassocrates, agents d'influence de la pourriture utilitairo-protestante et militants nationalistes (des Gagaouzes aux Vourdalaks). Pas question d'affaiblir l'Empire! Les chrétiens, et les croyeux  de tous poils, sont l'objet d'une attention toute spéciale: les chefs n'ont pas oublié leur rôle de pourrisseurs de l'Empire romain. On ne les laissera pas recommencer! Et des villes entières reparlent latin, la langue des origines. On y sacrifie à Jupiter... Gessler le Grand a compris qu'il n'y avait que deux manières de gérer l'humanité: les couilles pleines, à l'anglo-saxonne (frustration/culpabilisation-ambition-production), ou les couilles vides, à l'européenne (satisfaction-réalisation-assomption). Dans l'Empire, il est difficile de les garder pleines longtemps: des esclaves de Hollande ou du Kouban, expertes et motivées, sont fidèles au poste.

 

Ainsi parla Gessler...

 

Une monnaie unique, le franmark européen, est garantie par d'immenses réserves d'or, au contraire de l'immonde dollar usaïque, fabriqué à partir de rien, manipulé au dépens de populations ignorantes, abruties par un plouto-démocratisme hypermédiatisé. Les différences sont exaltées: pulpeuses Kalmouks et beaux Italiens peuvent bien se payer des orgasmes cosmiques, mais, attention, pas de métis! L'immigration est bien entendu interdite: «Autrefois, un peuple qui rentrait dans un autre, c'était clair, c'était une invasion... Peut-on aujourd'hui laisser librement les peuples qui n'ont aucune discipline nataliste et qui se multiplient à l'infini se répandre chez nous avec leurs drogues et maladies, chez nous qui réglementons nos naissances? La partie n'est pas égale! C'est s'abandonner à la catastrophe, à la barbarie, à l'effacement radical... Suicidons-nous collectivement tout de suite pour laisser la place aux autres, et qu'on n'en parle plus...». Ainsi parla Gessler, quatrième Führer de l'Empire. Dans ce monde braziloïde, un cauchemar pour les cosmopoliens et le rêve pour tous les autres, on suit l'ascension de Carl, membre de la DPSE (l'ordre beige), mais fréquentant, de Degrellstadt à Paris (Boulevard Céline) la fine fleur de l'aristocratie impériale: Lily Jünger, cette chère Pamela Horthy, l'exquis Vlady Vlassov, Anne-Ingrid de Munsbach-Lothringen et, bien sûr, le Protonotaire Parvulesco.

 

Patrick CANAVAN.

 

J. C. ALBERT-WEIL, Sont les oiseaux, Ed. du Rocher, 1996, 149 FF.

mardi, 28 octobre 2008

Bruno Favrit: le recours aux montagnes

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Bruno Favrit

trouvé sur : http://archaion.hautetfort.com

Le recours aux montagnes

 

Auteur entre autres d’un essai remarqué sur Nietzsche et d’un court roman de guerre, Bruno Favrit est à la fois un homme à la culture aussi profonde qu’originale et un alpiniste chevronné. Avec Ceux d’En Haut, son récent recueil de nouvelles, il nous offre un hymne à la haute montagne en tant qu’école de vie, car l’ascension s’y révèle surtout comme une rude initiation à une vision du monde spartiate. Des Cévennes au Caucase, ses héros, solitaires ou groupés en phalanstères (voire en patrouilles), affrontent la montagne pour mieux échapper aux blandices d’une modernité pour laquelle B. Favrit éprouve une tendresse limitée. Sveltes et bronzés (y compris sur le plan mental), ces jeunes gens qui comptent dans leurs rangs quelques troublantes amazones choisissent  -ou refusent - cette conversion « hérakléenne » qui fascine cet écrivain pétri de pensée antique. Celui-ci tente en fait de mettre en pratique la sentence de Malraux : « approfondir sa communion ou cultiver sa différence ». Aussi, chez ses personnages, le panthéisme vécu sous la morsure du gel ou du soleil invaincu débouche-t-il sur la solitude des sommets. Quant aux culs de plomb, ceux qui sont morts sans le savoir, malheur à eux ! Livre  attachant, d’un courage certain - qui pourrait toutefois être plus serein, au ton moins polémique, mais Favrit se veut disciple d’Héraclite - et à mille lieues de la chiennerie dominante, Ceux d’En Haut illustre la permanence d’une posture à la fois stoïcienne et épicurienne (somptueuse évocation d’un festin solsticial). Bel exemple de refus de l’aliénation techno-marchande, de quête de l’excellence et d’exaltation du « divin imprévu » cher à Stendhal, ce livre tonifiera tous ceux que tente la méditation du haut des cimes.

 

Christopher Gérard

 

Bruno Favrit, Ceux d’En Haut, Ed. Auda Isarn, 194 pages, 18€

 

Rencontre avec Bruno Favrit

Propos recueillis par Christopher Gérard

 

Qui êtes-vous ? Comment vous définiriez-vous ? Les grandes étapes de votre itinéraire littéraire et spirituel ?

 

S'il me faut absolument répondre, je dirai : un passionné qui accepte de connaître ce qui veut le réduire pour mieux s'en défaire ensuite. Former une réponse plus complète m'épuiserait assurément. Parce que je n'ai pas cessé, comme dirait Hamsun, de constituer un petit sujet d'étonnement pour moi-même. Ce qui, en un sens, peut être bon signe, si cela signifie qu'à l'échelle d'une vie, rien n'est jamais acquis mais rien n'est jamais achevé.

Pour ce qui est des grandes étapes de mon itinéraire, je ne serai guère plus affirmatif. Il y a une sorte de constante mue par une soif originelle. Un phénomène dont l'explication est au-dessus de mon entendement mais dont je suis conscient qu'il n'a rien d'exceptionnel pour qui est à l'écoute. Je peux tout de même citer le passage par le scoutisme. Je crois que je me suis aussi construit dans ce mouvement qui n'eut alors pour moi absolument rien d'ordinaire. Mais je n'ai lu les romans de Foncine et de Dalens que bien plus tard : je m'appliquais à vivre la réalité avant tout. A quinze ans, il y a eu Nietzsche. Je ne comprenais pas tout, évidemment, mais je percevais que se tenait dans le Crépuscule des idoles et le Zarathoustra une éthique très différente de tout ce qui m'avait été enseigné jusque-là. Cette lecture m'a donné le goût d'aborder les écrits d'autres maîtres d'élévation sans renoncer pour autant à parcourir les forêts et les crêtes. La fréquentation de la Phusis, la Nature sous son acception la plus large, m'a appris l'essentiel, enseignement que la société moderne ne propose plus. Cette immersion m'a également aidé à penser par moi-même en me tenant éloigné des absolutismes tels l'empirisme et les ''valeurs'' spéculatives.

Spirituellement, le qualificatif de panthéiste me convient. Pour ne pas se laisser accaparer par le dogme il faut se construire sa vision du monde en convoquant ses évidences instinctive et héréditaires.

 

Les grandes lectures ?

 

Sans doute peut-on se prononcer sur les livres essentiels à ce que l'on éprouve le besoin de les relire. Nietzsche continue à me soutenir. Mais également des penseurs comme Schopenhauer et Cioran. Sans oublier la philosophie antique. C'est la partie métaphysique de cette aventure qui me paraît déterminante. (Je reste assez insensible à l'épistémologie, sans doute parce que mon côté pyrrhonien m'inspire une confiance modérée dans le résultat.) Pour le style : Saint-Simon, Chateaubriand, Rousseau, Mérimée, Barrès, Montherlant. Bien que lisant peu de romans, des auteurs comme Giono, Hamsun ou Lawrence me touchent. J'affectionne aussi l'oeuvre où l'auteur se met à nu ; Henry Miller, Jack Kerouac, Blaise Cendrars, Gabriel Matzneff, furent pour moi de véritables révélations en la matière. Il me semble en effet important de rester plongé dans le réel. Mais un réel qui sait s'accommoder de la métaphysique et des mythes, eux-mêmes à considérer comme une réalité conceptualisée. Je peux citer également Alain Daniélou, Mircea Eliade, Fernando Pessoa, Hermann de Keyserling, Joseph Conrad.

 

Les grandes rencontres ?

 

Cette question renvoie pour moi à la précédente : qu'importe que les auteurs que nous relisons aient ''disparus'', leur talent demeure face à la grande majorité de nos contemporains qui excellent en mondanités et courent après les prix. Un livre et la confrontation peut avoir lieu. Mes plus grandes rencontres, je les ai faites aussi dans la fréquentation de sites préservés comme en Irlande, en Laponie, sur les grands causses ou les pentes des Alpes. J'aime la magie des lieux. J'aime voir où ont vécu, où ont écrit ceux qui m'ont marqué. L'Engadine d'Ainsi parlait Zarathoustra, le Valais de Derborence, le Montmartre de Jours tranquilles à Clichy, le quartier latin qui a vu naître Nous n'irons plus au Luxembourg et De l'inconvénient d'être né, la Bourgogne des Etoiles de Compostelle, les Calanques de Bourlinguer, le Vercors d'Un roi sans divertissement, le Montserrat d'Un Voyageur solitaire est un diable.

 

 

Après un essai sur Nietzsche et une synthèse sur le vitalisme, vous publiez un recueil de nouvelles dont le personnage principal est la montagne. Vous inscrivez-vous dans la lignée d’un Frison-Roche ou d’autres écrivains de la montagne ? D’où vous est venue cette passion ?

 

J'ai lu Frison-Roche, mais des écrivains comme Saint-Loup, Ramuz ou Buzzati me paraissent bien plus indispensables. Et un Reinhold Messner, même s'il n'a pas un style inoubliable, est à lire parce qu'il décrit dans ses livres une expérience personnelle réellement nietzschéenne. De là à dire que je m'inscris dans cette lignée d'écrivains, nous dirons que je m'efforce de m'y inscrire, conscient de mes faiblesses. Sur ce point, je me qualifierai plus convenablement de questeur qui s'essaye à l'écriture sans y consacrer tout le temps qu'il faudrait...

Quant à ma passion pour la montagne, elle est née d'une ascension en falaise, dans laquelle m'avaient entraîné deux amis, et d'un séjour estival dans les Alpes suisses où j'ai découvert que ce qui pouvait se faire sur le calcaire à 120 mètres de hauteur se trouvait démultiplié en terme de sensations sur le granit à 3000. J'ai vite ressenti le besoin de ne me détacher jamais longtemps des verticalités et de garder le spectacle de ces virginités ''à portée de main''. Je suis devenu, comme on dit aujourd'hui, un addict. L'escalade et l'alpinisme constituent un moyen idéal de trouver l'air pur, la beauté et de tester sa détermination. Cette nécessité n'a pas été exposée uniquement dans Ceux d'en haut qui a eu un précédent. Les Nouvelles des dieux et des montagnes, parues en 2004, rendaient déjà hommage à l'altitude. J'ai tenté d'y montrer qu'elle est aussi un moyen de fréquenter la divinité.

 

 

Les hommes et les femmes que le lecteur croise dans votre livre ont tous en commun de manifester une forme plus ou moins ouverte de rébellion contre le monde moderne.

 

Pour ce qui est de mon époque, ce n'est pas tant qu'elle me désespère – chacun trouve midi à sa porte – ; je souhaite seulement être le moins possible corrompu par elle. Du moins tenté-je de ne pas céder à ses triviales injonctions. Pas de propriété, pas de stock-options, pas d'idées arrêtées sur les vices ou les vertus (d'autant plus que je crois en la relativité des valeurs). Comme dit Marcel Conche, un des rares philosophes actuels remarquables : « Il faut se retirer de tout ce qui a une signification maintenant, mais n’en aura plus demain. » Cela est vrai pour l'action comme pour la connaissance. Mes personnages me ressemblent parce que je les ai fréquentés ou qu'ils sont un peu de moi-même. Je m'inspire de la réalité pour les mettre en scène. La ''révolte contre le monde moderne'' n'est pas qu'une forme de littérature. Bien qu'ils se fassent, hélas ! rares, il y a encore des corps et des esprits  vitalisés en ce bas monde.

 

 

Ce qui frappe aussi à la lecture de votre recueil, c’est votre proximité avec la Grèce ancienne, celle d’Héraclite. Comment expliquez-vous ce trait plus qu’original ?

 

Héraclite ! Il est présent dans la nouvelle ''La Voie hérakléenne'', mais aussi dans Vitalisme et vitalité. Tout ce qui nous reste de lui est constitué de fragments que les doxographes et les philosophes ont sauvé de l'oubli, ''dégraissant'' au passage sa pensée. Cela donne du coup à ses écrits une dimension exceptionnelle. Un présent inestimable pour un âge perclus de discours et de circonlocutions où nul ne ressent plus le besoin de lutter contre l'encombrement et la superfluité. Le vieux sage païen a influencé Platon mais aussi Char et Heidegger, ce qui n'est pas rien. Autant de richesse dans une petite centaine d'aphorismes, il n'y avait que de la Grèce antique qu'un tel héritage pouvait nous venir.

 

Vos projets ?

 

Beaucoup trop. J'avance toujours sur plusieurs fronts au gré de mon inspiration... et de mes dispositions à l'éparpillement ! Selon le vieux précepte antique, je pars du principe que naviguer est nécessaire si l'on veut aborder de nouveaux rivages et ne pas s'émousser dans les béatitudes que ces temps encouragent. Alors cinglons au large et tentons de nouvelles expériences. En ce moment, je me consacre plus particulièrement à la composition d'aphorismes. Un travail en chantier depuis des années qui impose des choix; polir, élaguer, supprimer. Encore et toujours la tentation d'une forme d'allégement.

Quelques projets aussi de grandes voies où je puisse me perdre pour me trouver. Tant que les dieux me donnent l'énergie d'aller par ce moyen à leur rencontre, je n'y renonce pas.

 

Avignon, printemps 2008

mercredi, 22 octobre 2008

L. F. Céline et Karl Epting

A paraître : Louis-Ferdinand Céline et Karl Epting

Présentation de l'éditeur
Karl Epting (1905-1979) fut l’un des représentants les plus influents de la culture allemande dans le Paris des années 30 et 40. En 1932, après la parution de Voyage au bout de la nuit, il se proposa de faire connaître Céline en Allemagne. Leur première rencontre eut lieu en 1937, et leurs rapports durèrent jusqu’à la mort de l’écrivain. Frank-Rutger Hausmann fait le point sur les relations entre les deux hommes et propose, pour la première fois, l’intégralité de la correspondance adressée par Céline à Karl Epting. Englobant la période située entre 1941 et 1960, ces lettres offrent des renseignements précieux à la fois sur la biographie de Céline et sur les relations franco-allemandes sous l’Occupation. On trouvera également dans cet ouvrage plusieurs textes de Karl Epting, dont tous ceux qu’il a écrits sur Céline, et une bibliographie exhaustive.

L'auteur
Professeur de langues et littératures françaises et italiennes à l’Université de Fribourg-en-Brisgau, Frank-Rutger Hausmann a notamment publié des éditions commentées de Dante, Villon et Rabelais. Il a également écrit des introductions aux études médiévales et humanistes, ainsi que plusieurs monographies sur les universités allemandes durant la période nationale-socialiste.


Frank-Rutger Hausmann, L-F Céline et Karl Epting, Ed. Le Bulletin célinien, 2008.

Commande possible auprès du Bulletin célinien:
Le Bulletin célinien
B P 70
1000 Bruxelles 22
Belgique

celinebc@skynet.be

Entretien avec Aurel Cioran

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Entretien avec Aurel Cioran

 

Q.: Dans la nouvelle nomenclature des rues de Bucarest, on trouve aujourd'hui le nom de Mircea Eliade, mais à Sibiu, il n'y a pas encore de rue portant le nom d'Emil Cioran. Que représente Cioran pour ses concitoyens de Sibiu à l'heure actuelle?

 

AC: Donner un nom à une rue ou à une place dépend des autorités municipales. Normalement, il faut qu'un peu de temps passe après la mort d'une personnalité pour que son nom entre dans la toponymie. Quant à ce qui concerne les habitants de Sibiu et en particulier les intellectuels locaux, ils ne seront pas en mesure de donner une réponse précise à votre question.

 

Q.: Je vais vous la formuler autrement. Dans une ville où il y a une faculté de théologie, comment est accueilli un penseur aussi négativiste (du moins en apparence...) que votre frère?

 

AC: Vous avez bien fait d'ajouter “en apparence”. Dans un passage où il parle de lui-même à la troisième personne et qui a été publié pour la première fois dans les “œuvres complètes” de Gallimard, mon frère parle très exactement du “paradoxe d'une pensée en apparence négative”. Il écrit: «Nous sommes en présence d'une œuvre à la fois religieuse et antireligieuse où s'exprime une sensibilité mystique». En effet, je considère qu'il est totu-à-fait absurde de coller l'étiquette d'“athée” sur le dos de mon frère, comme on l'a fait depuis tant d'années. Mon frère parle de Dieu sur chacune des pages qu'il a écrites, avec les accents d'un véritable mystique original. C'est justement sur ce thème que je suis intervenu lors d'un symposium qui a eu lieu ici à Sibiu. Je vais vous citer un autre passage qui remonte à 1990 et qui a été publié en roumain dans la revue Agorà: «Personnellement, je crois que la religion va beaucoup plus en profondeur que toute autre forme de réflexion émanant de l'esprit humain et que la vraie vision de la vie est la vision religieuse. L'homme qui n'est pas passé par le filtre de la religion et qui n'a jamais connu la tentation religieuse est un homme vide. Pour moi, l'histoire universelle équivaut au déploiement du péché originel et c'est de ce côté-là que je me sens le plus proche de la religion».

 

Q.: Parlons un peu des rapports entre Emil Cioran et les lieux de son enfance et de sa jeunesse. Vous demandait-il de lui parler de Rasinari et de Sibiu?

 

AC: Il se souvenait de choses que moi j'avais complètement oubliées. Un jour, il m'a dit au téléphone: «Je vois chaque pierre des rues de Rasinari». Pendant toute sa vie, il a conservé en son fors intérieur les images avec lesquelles il a quitté la Roumanie.

 

Q.: Il n'a jamais manifesté le désir de revenir?

 

AC: Quand nous nous sommes séparés en 1937, il m'a dit, en avalant sa salive, dans le train: «Qui sait quand nous nous reverrons». Et nous ne nous sommes revus que quarante ans plus tard, mais pas dans notre pays. Il a toujours désiré revenir. En 1991, il a été sur le point de s'embarquer pour la Roumanie. C'est alors que la maladie l'a frappé, qu'il a dû rentrer à l'hôpital. Dans ces derniers moments, il a été contraint d'utiliser une chaise roulante. Il craignait forcément de voir une réalité toute autre, s'il était revenu. Et effectivement il y a eu beaucoup de changements; à Rasinari, la composition sociale a complètement changé: quasi la moitié des habitants du village travaillent à la ville, ce qui conduit forcément à un changement de mentalité. Tout est bien différent du temps où nous étions adolescents. A Rasinari, nous étions des gamins de rue, nous allions en vadrouille toute la journée à travers champs, forêts et rivières...

 

Q.: ... et à Coasta Boacii.

 

AC: Oui, en effet, il évoquait sans cesse, avec énormément de regrets, ce paradis qu'était Coasta Boacii. «A quoi bon avoir quitté Coasta Boacii?», disait-il. Ensuite, il y avait ce pacage, près de Paltinis, où nous nous rendions tous les étés. Nous y restions un mois, dans une baraque tellement primitive, située dans une clairière où régnait une atmosphère extraordinaire.

 

Q.: Vous avez été très proche de votre frère non seulement dans les années d'enfance mais aussi pendant votre adolescence et votre jeunesse. Parlez-moi de vos expériences communes...

 

AC: Nous assistions aux cours de Nae Ionescu à l'Université. Ce professeur était une figure extraordinaire! Beaucoup de gens venaient l'écouter et pas seulement des étudiants. Mon frère y retournait même après avoir quitté l'université, pour rendre visite au professeur. Un jour, dès que la leçon fut terminée, Nae Ionescu a demandé: «De quelles choses devrais-je encore parler?». Et mon frère, spontanément lui a répondu: «De l'ennui». Alors Nae Ionescu a prononcé deux leçons sur l'ennui. Par la suite, ses adversaires ne sachant plus quelles armes utiliser pour l'attaquer, parce qu'il était le maître à penser de toute la jeune génération d'intellectuels qui soutenaient le “Mouvement Légionnaire”, ils l'ont accusé d'être... un plagiaire! Ce genre d'attaques est une manifestation infernale... L'œuvre d'une mafia de criminels, qui a commencé par s'attaquer à Heidegger, puis à chercher à faire le procès d'Eliade...

 

 

Q.: ... et même de Dumézil!

 

AC: Toujours sous prétexte d'antisémitisme. En Roumanie, à l'époque, il y avait bien sûr de l'antisémitisme, en réaction à l'arrivée massive d'un million de juifs venus de Galicie. En ce temps-là, c'était un véritable problème. Mais j'ai l'impression que cette manœuvre visant à criminaliser Eliade, Noica et les autres intellectuels de la “jeune génération” produira des effets contraires à ceux désirés.

 

Q.: Vous avez milité dans le Mouvement Légionnaire. Avez-vous connu Corneliu Codreanu?

 

AC: C'était un homme exceptionnel à tous points de vue. Il avait du charisme. J'ai souvent dit qu'il était un trop grand homme pour le peuple roumain, trop sérieux, trop grave. Il voulait une réforme radicale, basée sur la religion. Il était un esprit très intensément religieux. Il y a encore une chose qui m'impressionne profondément aujourd'hui: la manière dont le Mouvement Légionnaire abordait les problèmes économiques. Le Mouvement avait ouvert des restaurants, des réfectoires, où l'on vous servait un très bon repas, avec du vin en quantité limitée. L'idée qui me paraissait extraordinaire, c'est que les prix n'étaient pas fixés. Chacun payait selon ses propres moyens ou selon son bon plaisir.

 

Q.: Où avez-vous connu le Capitaine?

 

AC: A Bucarest, parce que j'y étudiait la jurisprudence. Mais je l'ai rencontré deux ou trois fois dans un camp de travail légionnaire. C'était un homme exceptionnel à tous points de vue.

 

(propos recueillis à Sibiu le 3 août 1995 par Claudio Mutti et parus dans la revue Origini, n°13/février 1996; trad. franç. : Robert Steuckers).

jeudi, 16 octobre 2008

La victoire du rythme binaire consacrait le règne de la masturbation

« LA VICTOIRE DU RYTHME BINAIRE CONSACRAIT LE REGNE DE LA MASTURBATION »

« Dans la salle, les conversations étaient abolies. Les yeux seuls essayaient de se parler, en vain. Dans les cerveaux des danseurs, les connexions rationnelles avaient dû être débranchées. L’humour, le charme, l’ironie, qui accompagnaient jadis la musique, avaient été laissés au vestiaire avec les vestes et les manteaux. Le seul langage autorisé était celui des corps. Ceux-ci ne s’épousaient pas comme avec le tango et ces danses sorties des bordels. Avec le rock, les mains se quittaient et se retrouvaient, comme si la génération du baby-boom avait voulu ainsi marquer qu’elle serait celle de l’indétermination sexuelle et du divorce de masse. La victoire du rythme binaire consacrait le règne de la masturbation et du cinéma pornographique. Les corps ne se mêlaient pas, ne se touchaient ni ne se frôlaient, chacun restait dans son coin et s’agitait, comme pris de transe. On mimait l’acte de va-et-vient sans retenue, solitairement. Mais chacun s’observait, se reluquait sans vergogne, comme si on jaugeait les capacités sexuelles des uns et des autres pour déterminer qui serait l’étalon le plus vigoureux et les juments à la croupe la plus accueillante. »

 

Eric Zemmour, "Petit Frère", Denoël, 2008, p. 172-173

mercredi, 15 octobre 2008

Henry Bauchau dans la tourmente du XX siècle

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Henry Bauchau dans la tourmente du XXe siècle

Geneviève Duchenne, Vincent Dujardin et Myriam Watthee-Delmotte publient "Henry Bauchau dans la tourmente du XXe siècle. Configurations historiques et imaginaires" aux éditions Le Cri. 
Né en 1913, Henry Bauchau a traversé le siècle. Il ne publie son premier recueil poétique qu’en 1958. Pourtant, il y a un poète qui s’ignore dans le chroniqueur d’avant-guerre, dans le combattant de 1940, dans le citoyen engagé dans l’action sociale sous l’Occupation ; il y a un être d’action dissimulé dans l’écrivain. Ce sont ces deux pans de la vie de Bauchau qui sont abordés dans ce travail, fruit des efforts conjugués de deux historiens et d’une spécialiste de la littérature contemporaine. Le travail des premiers, – bâti sur la base d’archives pour une bonne part inédites –, trouve son prolongement naturel dans l’analyse de la seconde : aucun des deux objets, historique et imaginaire, n’est indépendant, et leur corrélation permet d’éclairer un parcours certes singulier, mais inscrit dans une dynamique générationnelle.

L'ouvrage sera lancé le jeudi 6 mars 2008 au Musée de Louvain-la-Neuve, lors du vernissage de l'exposition "L'atelier d'Henry Bauchau".

Ce qu'on en dit

"De quels chemins ombrés a surgi la vocation tardive d'Henry Bauchau et de quelle expérience, de quel traumatisme en l'occurrence, s'est nourrie la substance de ses livres ? Deux historiens, Geneviève Duchenne et Vincent Dujardin, tous deux historiens et professeurs à l'UCL, ainsi que Myriam Watthee-Delmotte, professeur de littérature à l'UCL et spécialiste de l'oeuvre d'Henry Bauchau, apportent à ces questions l'éclairage d'une enquête rigoureusement documentée à partir de lettres, d'archives, d'entretiens, de mémoires, de témoignages et faite dans un esprit de collaboration où, aux recherches des premiers, répond en écho l'analyse des textes de la troisième."

Monique Verdussen, "Bauchau avant Bauchau", La Libre Belgique, 18 avril 2008 (article accessible via le site de La Libre)

SYNERGIES EUROPEENNES - Ecole des cadres/Wallonie - Lectures - Octobre 2008

samedi, 11 octobre 2008

Renaud Camus: la grande déculturation

Trouvé sur: http://ettuttiquanti.blogspot.com

Renaud Camus - La grande déculturation

Présentation de l'éditeur

Amis du Désastre et Niveau-montistes sont formels : la culture s'est répandue dans toutes les couches de la population. Ce livre soutient le contraire. Si la culture s'est répandue, selon lui, c'est comme le lait de Perette : plus la culture est diffusée, moins il y en a pour chacun et moins elle a de consistance. Lorsque les trois-quarts d'une génération accèdent au baccalauréat, le niveau de connaissance et de maturité qu'implique ce diplôme est à peu près celui qu'atteignaient au même âge les trois-quarts d'une autre génération, quand personne ne songeait à nommer cela baccalauréat, à peine certificat d'études. L'université fait le travail des lycées, les lycées celui des écoles primaires, les classes maternelles celui que les parents ne font pas, ayant eux-mêmes été élevés par l'école de masse, qui a formé la plupart des nouveaux enseignants. Arte, France Culture ou France Musique se consacrent aux tâches jadis dévolues aux chaînes généralistes, celles-ci imitent les postes et stations de divertissement.

Tout a baissé d'un cran. C'est la grande déculturation. Et si les journaux n'ont plus de lecteurs, c'est en grande partie parce que leur public potentiel ne sait plus lire, même des phrases de plus en plus simples et de plus en plus fautives, avec de moins en moins de mots. Le paradoxe est que l'objectif quantitatif, qui est au cœur de l'ambition démocratique en sa transposition culturelle, fait partout le lit de l'argent, par le biais de la publicité, des taux d'audience et des lois du marché. C'est ainsi que le Louvre devient une marque, etc.

Renaud Camus,
La grande déculturation, Fayard, 2008.

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vendredi, 10 octobre 2008

Céline, la danse et les danseuses

Trouvé sur: http://ettuttiquanti.blogspot.com

Céline, la danse et les danseuses

"Il n'était pas évident que cet écrivain qui semble ou prétend n'écrire que pour se délivrer de souvenirs insupportables et décharger sa bile soit sensible à d'autres arts qu'à cette prose narrative dans laquelle il s'est lancé comme malgré lui.

Or sa relation avec plusieurs de ces arts a à voir, quoique pas toujours de la même manière, avec sa pratique de romancier, et tout se passe même comme si ses attirances premières avaient été tournées vers des arts qu'il passe ensuite sous silence, en tout cas dans ce Voyage au bout de la nuit qui dessine pour longtemps son image dans l'opinion.

Aucun ne le hante plus continûment et sous des formes plus diverses que la danse, cette mise en forme et en valeur du corps, pour lui avant tout du corps féminin. Sans doute fait-il cette découverte de la danse, comme il le dit, dans le music-hall londonien au cours de son séjour de 1915-1916. Il le retrouvera plus tard à Paris, dans les intermèdes dansés de séances de cinéma au temps du muet. L'épisode du Tarapout dans Voyage au bout de la nuit se souvient de ces expériences. « Ce que je trouve remarquable, dit Céline d'une des danseuses à un journaliste à qui il a donné rendez-vous dans un de ces cinémas, c'est que l'esprit ne cesse pas de dominer les muscles et le métier.» L'instant d'après, il lui parle de « l'infini de la danse ».



L'émerveillement durable dans lequel le plonge Elizabeth Craig quand il la rencontre en 1926 ne tient pas seulement aux qualités de corps et d'esprit de la jeune femme, mais aussi au fait qu'elle fait entrer la danse dans sa vie. À partir de ce moment, il n'aura plus de relation intime durable qu'avec des danseuses, comme s'il avait besoin d'avoir en permanence auprès de lui ce témoignage d'un accomplissement de la vie. Il en a besoin comme d'un contrepoids aux aspects négatifs de cette vie dont son imaginaire fait la matière des romans qu'il écrit. Il s'intéresse au travail intense auquel se plient ses compagnes pour se maintenir au niveau qu'exige leur art; il fréquente les cours qu'elles suivent pour bénéficier de l'expérience de leurs aînées. C'est à l'un d'entre eux, celui de Mme d'Alessandri, qu'en 1935 il rencontre Lurette Almansor, qui se spécialise dans les danses de caractère, d'inspiration espagnole ou orientale. Il vivra avec elle jusqu'à sa mort.

Ce choix n'est pas seulement affaire de relations féminines, il n'est pas exagéré de le dire existentiel, tant il est enraciné au plus profond de sa sensibilité et de son imaginaire. Dans la danseuse, Céline admire une lutte de chaque jour contre les effets que le temps fait subir au corps humain, en le soumettant toujours plus à la pesanteur et en ne lui laissant plus accomplir que des mouvements de moins en moins harmonieux - lutte donc, au repos, contre l'avachissement, l'affaissement, la perte des formes, lorsque les muscles ne suffisent plus à remplir et à tendre la peau qui auparavant les dessinait à la surface,- dans le mouvement, lutte contre la perte de souplesse qui désaccorde les parties du corps dans leur relation les unes avec les autres danseuse est l'être humain qui mène avec le plus d'évidence contre cette mort avant la mort une action perdue d'avance mais glorieuse.

Il est donc logique que Céline s'intéresse autant, et peut-être plus, au travail à la barre et aux répétitions qu'au spectacle final, et qu'à côté de l'envol et des pointes de la danseuse classique il fasse place dans son empyrée à la danseuse de music-hall.
Les circonstances ont fait que le développement le plus long et le plus lyrique que lui ait inspiré la danse soit situé à l'orée des trois cents pages de fureurs et d'éructations de Bagatelles pour un massacre: « Dans une jambe de danseuse le monde, ses ondes, tous ses rythmes, ses folies, ses voeux sont inscrits!... jamais écrits!... Le plus nuancé poème du monde!... émouvant! [ ... ] Le poème inouï, chaud et fragile comme une jambe de danseuse en mouvant équilibre est en ligne, [ ... ] aux écoutes du plus grand secret, c'est Dieu! C'est Dieu lui-même! Tout simplement! [ ... ] La vie les saisit, pures... les emporte... au moindre élan, je veux aller me perdre avec elles... toute la vie... frémissante, onduleuse... » (Bagatelles pour un massacre)

C'est explicitement la raison pour laquelle il insère trois arguments de ballet (« bagatelles ») dans le texte de ce pamphlet, les deux premiers avant de se déchaîner, le troisième pour terminer le livre dans le calme après tant de violences. Il en attend la possibilité, s'ils étaient mis en musique et dansés, de « se rapprocher des danseuses » et, grâce à elles, de mourir « par une onde... la plus dansante... la plus émue... » (Bagatelles). À l'époque où il écrit ces lignes, il ne manque pas de relations personnelles avec des danseuses. Depuis qu'Elizabeth Craig l'a quitté, il voit régulièrement lors de leurs passages à Paris la Danoise Karen Marie Jensen et ses amies américaines, qui se produisent notamment au Radio City Hall de New York. Mais assister aux répétitions d'un ballet dont il aurait écrit l'argument serait être associé aux danseuses dans leur travail, et même accéder à leur saint des saints, si cela pouvait avoir lieu avec le corps de ballet de l'opéra de Paris.

Auparavant, à l'époque où il vivait avec Elizabeth, il avait tenté de mêler autrement danse et écriture. Ses deux pièces de 1926 et 1927, L'Église et Progrès, qui préfigurent, la première Voyage au bout de la nuit, la seconde Mort à crédit, comprenaient des personnages de danseuses et les faisaient danser sur scène, afin, disait Céline au même journaliste (voir p. 83), qu'en elles «sex-appeal» ou encore «attirance biologique » s'imposent directement au spectateur. Ils agiraient sur lui non, comme habituellement dans les pièces, à travers compliments et commentaires, mais comme des évidences ressenties.

Il est cependant significatif que, lorsqu'à deux reprises Céline reprend sous forme romanesque une histoire dont la plupart des éléments subsistent, en revanche la danse et la danseuse disparaissent. Grâce à son intimité avec des danseuses, il parvient, dans sa vie personnelle, à faire contrepoids à tout ce qui le rebute et le fait souffrir dans la réalité. Mais il n'est pas si facile de juxtaposer le positif et le négatif dans une création artistique fondée sur une représentation de cette réalité. Alors, c'est l'imaginaire qui commande et peut seul, par sa cohérence propre et sa correspondance avec le style, faire la valeur de l'œuvre dans l'ordre de la littérature. En Céline, le sens et le désir de la création littéraire, de même que l'intuition sinon la conscience de ses lois, ne sont pas moins forts que l'attachement à la danse. Rien n'est plus éloquent dans ce domaine que les transformations qu'il fait subir à l'histoire des aventures de Bardamu quand il passe du théâtre au roman : il les fait commencer par l'évocation de la guerre, qui devient la clé du roman tout entier. En revanche, il supprime de l'épisode new-yorkais les danseuses et leurs exercices sur scène.

[Photo : Le cours de Mme d'Alessandri avec Lucette Almansor (au milieu)] Quand L'Église fut jouée dans une mise en scène qui lui rendait justice, en 1992, les spectateurs qui gardaient le roman présent à l'esprit découvraient à quel point le choix d'une danseuse professionnelle pour tenir le rôle d'Elizabeth Craig suffisait à lui seul à déplacer le centre de gravité de l'histoire. Sa présence et les mouvements qu'elle exécutait devant Bardamu - et donc devant les spectateurs -, si ces scènes avaient été maintenues dans le roman, auraient fait perdre au reste des expériences du narrateur une partie de l'impact qu'elles ont à la lecture. La note de violence et de noirceur qui était destinée, pour le meilleur et pour le pire, à devenir la marque de Céline dans la littérature de son temps n'était pas compatible avec l'évidence physique de la danse. Quel que soit le secours que Céline tirait personnellement de celle-ci, dont il n'est pas exagéré de dire qu'elle l'aidait à vivre, il était trop écrivain-né pour ne pas en tirer les conclusions qui s'imposaient."

Source : Henri Godard, Un autre Céline, de la fureur à la féerie, Textuel, 2008.

jeudi, 09 octobre 2008

Bulletin célinien, n°301

Le Bulletin célinien

Sommaire du n° 301, octobre 2008 :

Marc Laudelout : « Sur Céline » de Philippe Alméras
Jean-Pierre Doche : Céline parmi nous
Alain Ajax : Céline au bout du communisme
Marc Laudelout : Céline dans la presse
Tomohiro Hikoe : « Progrès » et le music-hall
Michel P. Schmitt : Toujours à propos du 300ème numéro du BC

Le Bulletin célinien
B P 70
1000 Bruxelles 22
Belgique

http://louisferdinandceline.free.fr
celinebc@skynet.be




Numéro disponible contre 6 € (en timbres-poste ou par chèque à l'ordre de M. Laudelout)

mardi, 30 septembre 2008

R. Poulet: "D'un château l'autre"

ds-Louis-Ferdinand-Celine.jpg

Robert Poulet:

« D’un château l’autre »

[1957]

Il est toujours dangereux d’enterrer les gens ; ils ressuscitent à l’improviste et on ne sait plus où les mettre. Depuis Féerie pour une autre fois, on posait en fait que le grand Céline, celui du Voyage au bout de la nuit, était mort. Erreur complète ! Le prétendu défunt détrompe son monde en poussant un nouvel éclat de rire dont les échos ont même réveillé les critiques parisiens, dans leur fauteuil à roulettes. Et ces messieurs en oublient que – par convention tacite, conclue en 1944 – « Céline, ce n’est rien », « un personnage très surfait », grossier comme un chauffeur de car, artificieux, puéril ; d’ailleurs tout à fait inconnu de la jeunesse. Inconnu, justement, parce que pendant dix ans on s’est abstenu de le faire connaître !... Est-ce que les jeunes connaîtraient Proust si la conspiration du silence s’appliquait à la Recherche du temps perdu ?... Pendant qu’Aristarque effaré et irrité s’empêtre ainsi dans ses contradictions, proclamons tranquillement que D’un château l’autre, s’il était signé Tartempion, ferait pousser des hurlements d’admiration et de stupeur à toute l’avant-garde littéraire, dont les choryphées se sont signalés par des innovations qui paraissent imperceptibles au prix de ce discours prodigieux, encore bien plus hardi et plus expressif que celui du Voyage.

Seulement ce livre-là contenait un sentiment, valable pour tous les hommes de ce siècle. Sentiment de découverte furieuse, de scandale qui répond au scandale ; la vie moderne, non plus décrite, mais vomie toute fumante ; et par-dessus le marché la Rigolade : un être qui tombe des nues, qui voit le monde où nous sommes – la civilisation faussée, l’âme salie, l’esprit plein de mensonges – et qui se tord.

Des deux inventions énormes qui constituent (renforcée dans Mort à crédit) la surprise célinienne, il ne reste évidemment que la seconde ; celle qui a pour fin d’introduire dans la littérature le langage de notre temps. Le vrai, non celui que jargonnent les romanciers réalistes, populistes, néo-naturalistes, etc.  Il suffit de contempler le hachis et le pataugis des sous-Céline, dont quelques-uns portent des noms partout vantés, pour mesurer l’habileté cachée de notre homme, faux cacographe, pseudo-débraillé, qui calcule ses diatribes à une virgule près, et qui s’apparente bien plus, pour le souci du style, à José-Maria de Hérédia qu’au Père Duchesne.

Que nous conte-t-il cette fois ? Tout ce qui lui passe par la tête. Et d’abord ses malheurs, ses aventures, ses observations d’émigré malgré lui, en 1944-45. On sait que le père de Bardamu s’enfuit à la Libération, encore qu’en réalité il n’eût même pas mis le bout du doigt dans les engrenages de la Collaboration ; mais, comme il le dit très bien, à Paris on lui aurait arraché les tripes. Grâce à ce malentendu tragi-comique, nous avons ici, sur l’Allemagne aux abois, sur Sigmaringen (où vivaient onze cents condamnés à mort), sur les geôles et les geôliers danois (qui tinrent dans une oubliette, pendant six ans, le pauvre Louis-Ferdinand,  accusé  là-bas d’avoir « vendu les plans de la Ligne Maginot »), sur les rapports  de  l’auteur avec son éditeur, « ce salaud de Gaston » (et l’impossibilité du seigneur Gallimard, tirant à moult exemplaires les injures dont il est abreuvé, ajoute encore à l’effet d’hilarité) un témoignage sans doute inexact – les poètes ni les prophètes ne voient les choses comme elles sont – mais épique. Sur un fond de vociférations, d’hallucinations et de protestations, dans la matière desquelles il n’entre pas une seule phrase : rien que de petits groupes de mots démantibulés, qui hoquètent et qui cliquètent ; dents d’une roue sans fin, que meut un moteur inquiétant, plein d’éclairs et de fumée.

Mais quand le mouvement s’arrête, avec sa charge d’images puissantes, de sarcasmes inouïs et de plaintes enfantines, on s’avise qu’à l’origine de tout ce tumulte, strictement distribué par le génie le plus mécanique de l’ère contemporaine, il pourrait bien y avoir ceci : une forme désespérée de la grandeur d’âme. Une sensibilité, une générosité, qui se mutilent et se meurent elles-mêmes, comme dans le conte d’Edgar Poë.

Robert POULET

(Pan, 26 juillet 1957)

 

samedi, 27 septembre 2008

A propos du 300ième numéro du Bulletin Célinien

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À propos d'un trois centième numéro du Bulletin célinien

J'ai entendu parler pour la première fois du Bulletin célinien  à l'époque déjà ancienne où j'assurais, au moins nominalement, la présidence de la Société des Études céliniennes naissante. J'en étais en tout cas le parrain pour avoir imaginé l'intitulé. Elle était destinée à servir de liaison entre la poignée de chercheurs qui s'intéressaient alors à Céline, et – après mes expériences américaines – j'y mettais naturellement mes espoirs. C'est pourquoi je me souviens avec netteté des sentiments que suscita à Paris la naissance du Bulletin célinien à Bruxelles. On en parlait avec réserve, pas mal de suspicion, mais comme d'une chose transitoire.

 

Or, voici le 300ème numéro. Le BC a non seulement vécu et survécu mais il s'est imposé, il est devenu une institution ; comment expliquer la chose ?

 

J'y vois d'abord un effet de la distance. Cela ne pouvait sans doute se faire que dans cette Belgique qui, à travers Denoël, Évelyne Pollet et Marc Hanrez, avait élu Céline. On y était suffisamment loin de Paris pour ne pas ressentir le clapotis parisien. Vivant avec tranquillité affrontements et conflits, sa double nature flamande et française lui assure la placidité nécessaire devant les mauvais coups : on sait encaisser.

 

Quand j'ai aperçu Marc Laudelout pour la première fois dans l'un des colloques qui se tint vers là-bas j'avais été surpris par sa jeunesse, mariée à une réserve sénatoriale. Cela contrastait avec la nervosité ou la fébrilité de céliniens rencontrés de part et d'autre de l'Atlantique. Ce tempérament lui a permis de négocier les emballements, les compétitions, les conflits et les paniques périodiques que provoque Céline. Non pas que le directeur du BC ait le cuir épais, je le crois sensible et même ultra sensible aux critiques, mais la périodicité mensuelle lui donne le temps de voir. De Bruxelles-Sirius,  on distingue mieux le qui du quoi.  Chacune des  chapelles  de la cathédrale chante l'évangile à sa façon, et tout en veillant au respect de la lettre, le directeur du BC se garde des procès aux hétérodoxes et aux dissonants, à moins de croire le grand homme attaqué.

 

Il a maintenu ce calme et ce sérieux d'arbitre dans les empoignades qui ont mis périodiquement aux prises les officiants qui s’assomment à coup d'encensoirs  comme les moines des différentes confessions à l’entrée du Saint-Sépulcre. Céliniens de gauche ou de droite, ayants droit, celtisants, passionnés de la virgule et du texte pour le texte, acharnés du  petit fait vrai ou de la mémoire du lieu, experts en exploration d'archives, collectionneurs et marchands de reliques, tous ont reçu leur dû chez lui. Il n'y a eu,  je crois, qu'un chanoine  pour refuser le contact. Ces rares qualités ont permis à Marc Laudelout de tenir la gageure du sujet unique.

 

Encore fallait-il que ce sujet tint lui-même en  haleine, et c'est justement la survie exceptionnelle de Céline qui permet au Bulletin à lui consacré de vivre depuis  trente ans.

 

Il m'a toujours semblé que chacun des admirateurs de Céline élisait l'une de ses qualités ou de ses défauts pour les cultiver dans son laboratoire, certains le misérabilisme, d'autres la folle audace associée à une extrême prudence, d'autres encore la peur des riches et des puissants, je passe sur les mimétiques de la forme,  Laudelout, lui, me paraît avoir élu le désir de vie de l’increvable qui, tout en parlant périodiquement de « se filer au gaz », a sans doute été le moins suicidaire des écrivains du temps.

 

La tentation d’en finir avec ce Bulletin, qui lui apportait à longueur d’année palpitations et vertiges devant le numéro à remplir, à boucler et à payer, a dû se présenter dix fois. Il lui a résisté, il a tenu grâce à celui qui – il faut le constater – n’a pas connu une année de purgatoire depuis la publication de L’Herne, les colloques de J.-P. Dauphin ou le premier numéro du Bulletin célinien.

 

Montherlant s’est lourdement trompé en disant qu’on ne lirait pas plus Céline dans cinquante ans qu’on ne lisait Paul Alexis ou Paul Lombard. On pourrait même croire qu’il a payé son erreur. Et ceci nous amène fatalement à la question inéluctable : pourquoi lit-on l’un et plus l’autre ? Une fois écartée la fausse réponse du style, il faut imaginer le lecteur, jeune ou vieux, gavé de l’aube au crépuscule de bons sentiments, envers les femmes, les immigrés et les sans-papiers, sommé de tenir tous les bipèdes pour ses semblables et convaincu de culpabilités rétrospectives variées, il faut imaginer ce lecteur découvrant la prose lyrique du seul qui sache piétiner nos tabous les plus chers entre deux ballets et trois idylles. L’impunité fournie par le temps et le talent assure la renaissance du phénix.

 

Laudelout s’est fait une spécialité d’évoquer le drôle d’oiseau, et il a encore le temps de voir. Son secret de longue vie tient au fait qu’il n’a rien à prouver, rien à démontrer.

 

Philippe ALMÉRAS

 

Auteur de deux thèses de doctorat sur Céline : L’évolution du langage romanesque de Louis-Ferdinand Céline (Université de Californie [Santa Barbara], 1971) et Les idées de Céline (Université de Paris VII, 1987). Cette thèse a été éditée par la BLFC (1987), puis rééditée par Berg International (1992) et Dualpha (2004).  Auteur d’une biographie, Céline. Entre haines et passion  (Robert Laffont, 1994 ; rééd. Dualpha, 2002) et d’un Dictionnaire Céline. Une œuvre, une vie (Plon, 2004).  Autres livres publiés sur le sujet : Je suis le bouc. Céline et l’antisémitisme (Denoël, 2000) ; Voyager avec Céline (Dualpha, 2003) et Sur Céline (Éditions de Paris, 2008).  A également édité et préfacé Lettres des années noires (Berg International, 1994).

 

     

 

 

 

dimanche, 21 septembre 2008

Citation de Louis-Ferdinand Céline

Cassez vos télévisions

 

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C'est un prodigieux moyen de propagande. C'est aussi, hélas! un élément d'abêtissement en ce sens que les gens se fient à ce qu'on leur montre. Ils n'imaginent plus. Ils voient. Ils perdent la notion de jugement et ils se prêtent gentiment à la fainéantise. La TV est dangereuse pour les hommes. L'alcoolisme, le bavardage, et la politique en font déjà des abrutis. Etait-il nécessaire d'ajouter encore quelque chose?

Louis-Ferdinand Céline

mercredi, 17 septembre 2008

Citation de Chateaubriand

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samedi, 13 septembre 2008

Réflexions sur la figure esthétique et littéraire du dandy

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Réflexions sur la figure esthétique et littéraire du “dandy”

 

Intervention de Robert Steuckers au séminaire de “SYNERGON-Deutschland”, Basse-Saxe, 6 mai 2001

 

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je voudrais formuler trois remarques préliminaires:

◊ 1. J’ai hésité à accepter votre invitation à parler de la figure du dandy, car ce type de problématique n’est pas mon sujet de préoccupation privilégié.

 

◊ 2. J’ai finalement accepté parce que j’ai redécouvert un essai aussi magistral que clair d’Otto Mann, paru en Allemagne il y de nombreuses années (i. e. : Dandysmus als konservative Lebensform) (*). Cet essai mériterait d’être à nouveau réédité, avec de bons commentaires.

 

◊ 3. Ma troisième remarque est d’ordre méthodologique et définitionnel. Avant de parler du “dandy”, et de rappeler à ce sujet l’excellent travail d’Otto Mann, il faut énumérer les différentes définitions du “dandy”, qui ont cours, et qui sont contradictoires. Ces définitions sont pour la plupart erronées, ou superficielles et insuffisantes. D’aucuns définissent le dandy comme un “pur phénomène de mode”, comme un personnage élégant, sans plus, soucieux de se vêtir selon les dernières modes vestimentaires. D’autres le définissent comme un personnage superficiel, qui aime la belle vie et pérégrine, oisif, de cabaret en cabaret. Françoise Dolto avait brossé un tableau psychologique du dandy. D’autres encore soulignent, quasi exclusivement, la dimension homosexuelle de certains dandies, tel Oscar Wilde. Plus rarement on assimile le dandy à une sorte d’avatar de Don Juan, qui meuble son ennui en collectionnant les conquêtes féminines. Ces définitions ne sont pas celles d’Otto Mann, que nous faisons nôtres.

 

L’archétype: George Bryan Brummell

 

Notre perspective, à la suite de l’essai d’Otto Mann, est d’attribuer au dandy une dimension culturelle plus profonde que toutes ses superficialités “modieuses”, épicuriennes, hédonistes, homosexuelles ou donjuanesques. Pour Otto Mann, le modèle, l’archétype du dandy, reste George Bryan Brummell, figure du début du 19ième siècle qui demeurait équilibrée. Brummell, contrairement à certains pseudo-dandies ultérieurs, est un homme discret, qui ne cherche pas à se faire remarquer par des excentricités vestimentaires ou comportementales. Brummell évite les couleurs criardes, ne porte pas de bijoux, ne se livre pas à des jeux sociaux de pur artifice. Brummell est distant, sérieux, digne; il n’essaie pas de faire de l’effet, comme le feront, plus tard, des figures aussi différentes qu’Oscar Wilde, que Stefan George ou Henry de Montherlant. Chez lui, les tendances spirituelles dominent. Brummell entretient la société, raconte, narre, manie l’ironie et même la moquerie. Pour parler comme Nietzsche ou Heidegger, nous dirions qu’il se hisse au-dessus de l’«humain, trop humain» ou de la banalité quotidienne (Alltäglichkeit).

 

Brummell, dandy de la première génération, incarne une forme culturelle, une façon d’être, que notre société contemporaine devrait accepter comme valable, voire comme seule valable, mais qu’elle ne génère plus, ou plus suffisamment. Raison pour laquelle le dandy s’oppose à cette société. Les principaux motifs qui sous-tendent son opposition sont les suivants : 1) la société apparaît comme superficielle et marquée de lacunes et d’insuffisances; 2) le dandy, en tant que forme culturelle, qu’incarnation d’une façon d’être, se pose comme supérieur à cette société lacunaire et médiocre; 3) le dandy à la Brummell ne commet aucun acte exagéré, ne commet aucun scandale (par exemple de nature sexuelle), ne commet pas de crime, n’a pas d’engagement politique (contrairement aux dandies de la deuxième génération comme un Lord Byron). Brummell lui-même ne gardera pas cette attitude jusqu’à la fin de ses jours, car il sera criblé de dettes, mourra misérablement à Caen dans un hospice. Il avait, à un certain moment, tourné le dos au fragile équilibre que réclame la posture initiale du dandy, qu’il avait été le premier à incarner.

 

Un idéal de culture, d’équilibre et d’excellence

 

S’il n’y a dans son comportement et sa façon d’être aucune exagération, aucune originalité flamboyante, pourquoi la figure du dandy nous apparaît-elle quand même importante, du moins intéressante? Parce qu’elle incarne un idéal, qui est en quelque sorte, mutatis mutandis, celui de la paiedeia grecque ou de l’humanitas romaine. Chez Evola et chez Jünger, nous avons la nostalgie de la magnanimitas latine, de l’hochmüote des chevaliers germaniques des 12ième et 13ième siècles, avatars romains ou médiévaux d’un modèle proto-historique perse, mis en exergue par Gobineau d’abord, par Henry Corbin ensuite. Le dandy est l’incarnation de cet idéal de culture, d’équilibre et d’excellence dans une période plus triviale de l’histoire, où le bourgeois calculateur et inculte, et l’énergumène militant, de type hébertiste ou jacobin, a pris le pas sur l’aristocrate, le chevalier, le moine et le paysan.

 

A la fin du 18ième siècle, avec la révolution française, ces vertus, issues du plus vieux fond proto-historique de l’humanité européenne, sont complètement remises en question. D’abord par l’idéologie des Lumières et son corrolaire, l’égalitarisme militant, qui veut effacer toutes les traces visibles et invisibles de cet idéal d’excellence. Ensuite, par le Sturm und Drang et le romantisme, qui, par réaction, basculent parfois dans un sentimentalisme incapacitant, parce qu’expression, lui aussi, d’un déséquilibre. Les modèles immémoriaux, parfois estompés et diffus, les attitudes archétypales survivantes disparaissent. C’est en Angleterre qu’on en prend conscience très vite, dès la fin du 17ième, avant même les grands bouleversements de la fin du 18ième : Addison et Steele dans les colonnes du Spectator et du Tatler, constatent qu’il est nécessaire et urgent de conserver et de maintenir un système d’éducation, une culture générale, capables de garantir l’autonomie de l’homme. Une valeur que les médias actuels ne promeuvent pas, preuve discrète que nous avons bel et bien sombré dans un monde orwellien, qui se donne un visage de “bon apôtre démocratique”, inoffensif et “tolérant”, mais traque impitoyablement toutes les espaces et résidus d’autonomie de nos contemporains. Addison et Steele, dans leurs articles successifs, nous ont légué une vision implicite de l’histoire culturelle et intellectuelle de l’Europe.

 

L’idéal de Goethe

 

Le plus haut idéal culturel que l’Europe ait connu est bien entendu celui de la paideia grecque antique. Elle a été réduite à néant par le christianisme primitif, mais, dès le 14ième siècle, on sent, dans toute l’Europe, une volonté de faire renaître les idéaux antiques. Le dandy, et, bien avant son émergence dans le paysage culturel européen, les deux journalistes anglais Steele et Addison, entendent incarner cette nostalgie de la paideia, où l’autonomie de chacun est respectée. Ils tentent en fait de réaliser concrètement dans la société l’objectif de Goethe: inciter leurs contemporains à se forger et se façonner une personnalité, qui sera modérée dans ses besoins, satisfaite de peu, mais surtout capable, par cette ascèse tranquille, d’accéder à l’universel, d’être un modèle pour tous, sans trahir son humus originel (Ausbildung seiner selbst zur universalen und selbstgenugsamen Persönlichkeit). Cet idéal goethéen, partagée  anticipativement par les deux publicistes anglais puis incarné par Brummell, n’est pas passé après les vicissitudes de la révolution française, de la révolution industrielle et des révolutions scientifiques de tous acabits. Sous les coups de cette modernité, irrespectueuse des Anciens, l’Europe se retrouve privée de toute culture substantielle, de toute épine dorsale éthique. On en mesure pleinement les conséquences aujourd’hui, avec la déliquescence de l’enseignement.

 

A partir de 1789, et tout au long du 19ième siècle, le niveau culturel ne cesse de s’effondrer. Le déclin culturel commence au sommet de la pyramide sociale, désormais occupé par la bourgeoisie triomphante qui, contrairement aux classes dominantes des époques antérieures, n’a pas d’assise morale (sittlich) valable pour maintenir un dégré élevé de civilisation; elle n’a pas de fondement religieux, ni de réelle éthique professionnelle, contrairement aux artisans et aux gens de métier, jadis encadrés dans leurs gildes ou corporations (Zünfte). La seule réalisation de cette bourgeoisie est l’accumulation méprisable de numéraire, ce qui nous permet de parler, comme René Guénon, d’un “règne de la quantité”, d’où est bannie toute qualité. Dans les classes défavorisées, au bas de l’échelle sociale, tout élément de culture est éradiqué, tout simplement parce que chez les pseudo-élites, il n’y a déjà plus de modèle culturel; le peuple, aliéné, précarisé, prolétarisé, n’est plus une matrice de valeurs précises, ethniquement déterminées, du moins une matrice capable de générer une contre-culture offensive, qui réduirait rapidement à néant ce que Thomas Carlyle appelait la “cash flow mentality”. En conclusion, nous assistons au déploiement d’une barbarie nantie, à haut niveau économique (eine ökonomisch gehobene Barbarei), mais à niveau culturel nul. On ne peut pas être riche à la mode du bourgeois et, simultanément, raffiné et intelligent. Cette une vérité patente : personne de cultivé n’a envie de se retrouver à table, ou dans un salon, avec des milliardaires de la trempe d’un Bill Gates ou d’un Albert Frère, ni avec un banquier ou un fabricant de moteurs d’automobile ou de frigidaires. Le véritable homme d’esprit, qui se serait égaré dans le voisinage de tels sinistres personnages, devrait sans cesse réprimer des baillements en subissant le vomissement continu de leurs bavardages ineptes, ou, pour ceux qui ont le tempérament plus volcanique, réprimer l’envie d’écraser une assiette bien grasse, ou une tarte à la façon du Gloupier, sur le faciès blet de ces nullités. Le monde serait plus pur —et sûrement plus beau— sans la présence de telles créatures.

 

La mission de l’artiste selon Baudelaire

 

Pour le dandy, il faut réinjecter de l’esthétique dans cette barbarie. En Angleterre, John Ruskin (1819-1899), les Pré-Réphaélites avec Dante Gabriel Rossetti et William Morris, vont s’y employer. Ruskin élaborera des projets architecturaux, destinés à embellir les villes enlaidies par l’industrialisation anarchique de l’époque manchesterienne, qui déboucheront notamment sur la construction de “cités-jardins” (Garden Cities). Les architectes belges et allemands de l’Art Nouveau ou Jugendstil, dont Henry Vandervelde et Victor Horta, prendront le relais. A côté de ces réalisations concrètes  —parce que l’architecture permet plus aisément de passer au concret—  le fossé ne cesse de se creuser entre l’artiste et la société. Le dandy se rapproche de l’artiste. En France, Baudelaire pose, dans ses écrits théoriques, l’artiste comme le nouvel “aristocrate”, dont l’attitude doit être empreinte de froideur distante, dont les sentiments ne doivent jamais s’exciter ni s’irriter outre mesure, dont l’ironie doit être la qualité principale, de même que la capacité à raconter des anecdotes plaisantes. Le dandy artiste prend ses distances par rapport à tous les dadas conventionnels et habituels de la société. Ces positions de Baudelaire se résument dans les paroles d’un personnage d’Ernst Jünger, dans le roman Héliopolis : «Je suis devenu le dandy, qui prend pour important ce qui ne l’est pas, qui se moque de ce qui est important » («Ich wurde zum Dandy, der das Unwichtige wichtig nahm, das Wichtige belächelte»). Le dandy de Baudelaire, à l’instar de Brummell, n’est donc pas un personnage scandaleux et sulfureux à la Oscar Wilde, mais un observateur froid (ou, pour paraphraser Raymond Aron, un “spectateur désengagé”), qui voit le monde comme un simple théâtre, souvent insipide où des personnages sans réelle substance s’agitent et gesticulent. Le dandy baudelérien a quelque peu le goût de la provocation, mais celle-ci reste cantonnée, dans la plupart des cas, à l’ironie.

 

Les exagérations ultérieures, souvent considérées à tort comme expressions du dandysme, ne correspondent pas aux attitudes de Brummell, Baudelaire ou Jünger. Ainsi, un Stefan George, malgré le grand intérêt de son œuvre poétique, pousse l’esthétisme trop loin, à notre avis, pour verser dans ce qu’Otto Mann appelle l’«esthéticisme», caricature  de toute véritable esthétique.Pour Stefan George, c’est un peu la rançon à payer à une époque où la “perte de tout juste milieu” devient la règle (Hans Sedlmayr a explicité clairement dans un livre célèbre sur l’art contemporain, Verlust der Mitte, cette perte du “juste milieu”). Sedlmayr mettait clairement en exergue cette volonté de rechercher le “piquant”. Stefan George le trouvera dans ses mises en scène néo-antiques. Oscar Wilde ne mettra rien d’autre en scène que lui-même, en se proclamant “réformateur esthétique”. L’art, dans sa perspective, n’est plus un espace de contestation destiné à investir totalement, à terme, le réel social, mais devient le seule réalité vraie. La sphère économique, sociale et politique se retrouve dévalorisée; Wilde lui dénie toute substantialité, réalité, concrétude. Si Brummell conservait un goût tout de sobriété, s’il gardait la tête sur les épaules, Oscar Wilde se posait d’emblée comme un demi-dieu, portait des vêtements extravagants, aux couleurs criardes, un peu comme les Incroyables et les Merveilleuses au temps de la révolution française. Provocateur, il a aussi amorcé un processus de mauvaise “féminisation/dévirilisation”, en se promenant dans les rues avec des fleurs à la main. A l’heure des actuelles “gay prides”, on peut le considérer comme un précurseur. Ses poses constituent tout un théâtre, assez éloigné, finalement, de ce sentiment tranquille de supériorité, de dignité virile, de “nil admirari”, du premier Brummell.

 

Auto-satisfaction et sur-dimensionnement du “moi”

 

Pour Otto Mann, cette citation de Wilde est emblématique : « Les dieux m’ont presque tout donné. J’avais du génie, un nom illustre, une position sociale élevée, la gloire, l’éclat, l’audace intellectuelle ; j’ai fait de l’art une philosophie et de la philosophie un art; j’ai appris aux hommes à penser autrement et j’ai donné aux choses d’autres couleurs... Tout ce que j’ai touché s’est drapé dans de nouveaux effets de beauté; à la vérité, je me suis attribué, à juste titre, le faux comme domaine et j’ai démontré que le faux, tout comme le vrai, n’est qu’une simple forme d’existence postulée par l’intellect. J’ai traité l’art comme la vérité suprême, et la vie comme une branche de la poésie et de la littérature. J’ai éveillé la fantaisie en mon siècle, si bien qu’il a créé, autour de moi, des mythes et des légendes. J’ai résumé tous les systèmes philosophiques en un seul épigramme. Et à côté de tout cela, j’avais encore d’autres atouts». L’auto-satisfaction, le sur-dimensionnement du “moi” sont patents, vont jusqu’à la mystification.

 

Ces exagérations iront croissant, même dans l’orbite de cette virilité stoïque, chère à Montherlant. Celui-ci, à son tour, exagère dans les poses qu’il prend, en pratiquant une tauromachie fort ostentatoire ou en se faisant photographier, paré du masque d’un empereur romain. Le risque est de voir des adeptes minables verser dans un “lookisme” tapageur et de mauvais goût, de formaliser à l’extrême ces attitudes ou ces postures du poète ou de l’écrivain. En aucun cas, elles n’apportent une solution au phénomène de la décadence. En matière de dandysme, la seule issue est de revenir calmement à Brummell lui-même, avant qu’il ne sombre dans les déboires financiers. Car ce retour au premier Brummell équivaut, si l’on se souvient des exhortations antérieures d’Addison et Steele, à une forme plus moderne, plus civile et peut-être plus triviale de paideia ou d’humanitas. Mais, trivialité ou non, ces valeurs seraient ainsi maintenues, continueraient à exister et à façonner les esprits. Ce mixte de bon sens et d’esthétique dandy permettrait de dégager un objectif politique pratique : défendre l’école au sens classique du terme, augmenter sa capacité à transmettreles legs de l’antiquité hellénique et romaine, prévoir une pédagogie nouvelle et efficace, qui serait un mixte d’idéalisme à la Schiller, de méthodes traditionnelles et de méthodes inspirées par Pestalozzi.

 

Retour à la religion ou “conscience malheureuse”?

 

La figure du dandy doit donc être replacée dans le contexte du 18ième siècle, où les idéaux et les modèles classiques de l’Europe traditionnelle s’érodent et disparaissent sous les coups d’une modernité équarissante et arasante. Les substances religieuses, chrétiennes ou pré-chrétiennes sous vernis chrétien, se vident et s’épuisent. Les Modernes prennent le pas sur les Anciens. Ce processus conduit forcément à une crise existentielle au sein de l’écoumène civilisationnel européen. Deux pistes s’offrent à ceux qui tentent d’échapper à ce triste destin : 1) Le retour à la  religion, ou à la tradition, piste importante mais qui n’est pas notre propos aujourd’hui, tant elle représente un continent de la pensée, fort vaste, méritant un séminaire complet à elle seule. 2) Cultiver ce que les romantiques appelaient la Weltschmerz, la douleur que suscitait ce monde désenchanté, ce qui revient à camper sur une position critique permanente à l’endroit des manifestations de la modernité, à développer une conscience malheureuse, génératrice d’une culture volontairement en marge, mais où l’esprit politiquepeut puiser des thématiques offensives et contestatrices.

 

Pour le dandy et le romantique, qui oscille entre le retour à la religion et le sentiment de Weltschmerz, cette dernière est surtout ressentie de l’intérieur. C’est dans l’intériorité du poète ou de l’artiste que ce sentiment va mûrir, s’accroître, se développer. Jusqu’au point de devenir dur, de dompter le regard et d’éviter ainsi les langueurs ou les colères suscitées par la conscience malheureuse. En bout de course, le dandy doit devenir un observateur froid et impartial, qui a dominé ses sentiments et ses émotions. Si le sang a bouillonné face aux “horreurs économiques”, il doit rapidement se refroidir, conduire à l’impassibilité, pour pouvoir les affronter efficacement. Le dandy, qui a subi ce processus, atteint ainsi une double impassibilité : rien d’extérieur ne peut plus l’ébranler; mais aucune émotion intérieure non plus. Pierre Drieu La Rochelle ne parviendra jamais à un tel équilibre, ce qui donne une touche très particulière et très séduisante à son œuvre, tout simplement parce qu’elle nous dévoile ce processus, en train de se réaliser, vaille que vaille, avec des ressacs, des enlisements et des avancées. Drieu souffre du monde, s’essaie aux avant-gardes, est séduit par la discipline et les aspects “métalliques” du fascisme “immense et rouge”, en marche à son époque, accepte mentalement la même discipline chez les communistes et les staliniens, mais n’arrive pas vraiment à devenir un “observateur froid et impartial” (Benjamin Constant). L’œuvre de Drieu La Rochelle est justement immortelle parce qu’elle révèle cette tension permanente, cette crainte de retomber dans les ornières d’une émotion inféconde, cette joie de voir des sorties vigoureuses hors des torpeurs modernes, comme le fascisme, ou la gouaille d’un Doriot.

 

Blinder le mental et le caractère

 

En résumé, le processus de deconstruction des idéaux de la paideia antique, et de déliquescence des substantialités religieuses immémoriales, qui s’amorce à la fin du 18ième siècle, équivaut à une crise existentielle généralisée à tous les pays occidentaux. La réponse de l’intelligence à cette crise est double : ou bien elle appelle un retour à la religion ou bien elle suscite, au fond des  âmes, une douleur profondément ancrée, la fameuse Weltschmerz des romantiques. La Weltschmerz se ressent dans l’intériorité profonde de l’homme qui fait face à cette crise, mais c’est aussi dans son intériorité qu’il travaille silencieusement à dépasser cette douleur, à en faire le matériel premier pour forger la réponse et l’alternative à cette épouvantable déperdition de substantialité, surplombée par un économicisme délétère. Il faut donc se blinder le mental et le caractère, face aux affres qu’implique la déperdition de substantialité, sans pour autant inventer de toutes pièces des Ersätze plus ou moins boîteux à la substantialité de jadis. Baudelaire et Wilde pensent, tous deux à leur manière, que l’art va offrir une alternative, plus souple et plus mouvante que les anciennes substantialités, ce qui est quasiment exact sur toute la ligne, mais, dans ce cas, l’art ne doit pas être entendu comme simple esthétisme. Le blindage du mental et du caractère doit servir, in fine, à combattre l’économicisme ambiant, à lutter contre ceux qui l’incarnent, l’acceptent et mettent leurs énergies à son service. Ce blindage doit servir de socle moral et psychologique dur aux idéaux de combat politique et métapolique. Ce blindage doit être la carapace de ce qu’Evola appelait l’«homme différencié», celui qui “chevauche le tigre”, qui erre, imperturbé et imperturbable, “au milieu des ruines”, ou que Jünger désignait sous le vocable d’«anarque». “L’homme différencié qui chevauche le tigre au milieu des ruines” ou “l’anarque” sont posés d’emblée comme des observateurs froids, impartiaux, impassibles. Ces hommes différenciés, blindés, se sont hissés au-dessus de deux catégories d’obstacles : les obstacles extérieurs et les obstacles générés par leur propre intériorité. C’est-à-dire les barrages dressés par les “hommes de moindre valeur”  et les alanguissements de l’âme en détresse.

 

Figures tchandaliennes de la décadence

 

La crise existentielle, qui débute vers le milieu du 18ième siècle, débouche donc sur un nihilisme, très judicieusement défini par Nietzsche comme un “épuisement de la vie”, comme “une dévalorisation des plus hautes valeurs”, qui s’exprime souvent par une agitation frénétique sans capacité de jouir royalement de l’otium, agitation qui accélère le processus d’épuisement. La mise en schémas de l’existence est l’indice patent que nos “sociétés”ne forment plus des “corps”, mais constituent, dit Nietzsche, des “conglomérats de Tchandalas”, chez qui s’accumulent les maladies nerveuses et psychiques, signe que la puissance défensive des fortes natures n’est plus qu’un souvenir. C’est justement cette “puissance défensive” que l’homme “différencié” doit, au bout de sa démarche, de sa quête dans les arcanes des traditions, reconstituer en lui. Nietzsche énumère très clairement les vices du Tchandala, figure emblématique de la décadence européenne, issue de la crise existentielle et du nihilisme: le Tchandala est affecté de pathologies diverses, sur fond d’une augmentation de la criminalité, de célibat  généralisée et de stérilité voulue, d’hystérie, d’affaiblissement constant de la volonté, d’alcoolisme (et de toxicomanies diverses ajouterions-nous), de doute systématique, d’une destruction méthodique et acharnée des résidus de force. Parmi les figures tchandaliennes de cette décadence et de ce nihilisme, Nietzsche compte ceux qu’il appelle les “nomades étatiques” (Staatsnomaden) que sont les fonctionnaires, sans patrie réelle, serviteurs du “monstre froid”, au mental mis en schémas et, subséquemment, générateurs de toujours davantage de schémas, dont l’existence parasitaire engendre, par leur effroyable pesanteur en progression constante, le déclin des familles, dans un environnement fait de diversités contradictoires et émiettées, où l’on trouve

 

-         le “disciplinage” (Züchtung) des caractères pour servir les abstractions du monstre froid,

-         la lubricité généralisée comme forme de nervosité et comme expression d’un besoin insatiable et compensatoire de stimuli et d’excitations,

-         les névroses en tous genres,

-         les fascinations morbides pour les mécanismes et pour les enchaînements, limités, de sèches causalités sans levain,

-         le présentisme politique (Augenblickdienerei) où ne dominent plus, souverainement, ni longue mémoire ni perspectives profondes ni sens naturel et instinctif du bon droit,

-         le sensibilisme pathologique,

-         les doutes inféconds procédant d’un effroi morbide face aux forces impassables qui ont fait et feront encore l’histoire-puissance,

-         une peur d’arraisonner le réel, de saisir les choses tangibles de ce monde.

 

Victor Segalen en Océanie, Ernst Jünger en Afrique

 

Dans ce complexe de froideur, d’immobilisme agité, de frénésies infécondes, de névroses, une première réponse au nihilisme est d’exalter et de concrétiser le principe de l’aventure, où le contestataire quittera le monde bourgeois tissé d’artifices, pour s’en aller vers des espaces vierges, intacts, authentiques, ouverts, mystérieux. Gauguin part pour les îles du Pacifique. Victor Segalen, à sa suite, chante l’Océanie primordiale et la Chine impériale qui se meurt sous les coups de l’occidentalisme. Segalen demeure breton, opère ce qu’il appelait le “retour à l’os ancestral”, dénonce l’envahissement de Tahiti par les “romances américaines”, ces “parasites immondes”, rédige un “Essai sur l’exotisme” et “Une esthétique du divers”. Le rejet des brics et brocs sans passé profond ont valu à Segalen un ostracisme injustifié dans sa patrie : il reste un auteur à redécouvrir, dans la perspective qui est nôtre.

 

Le jeune Jünger, encore adolescent, rêve de l’Afrique, du continent où vivent les éléphants et d’autres animaux fabuleux, où les espaces et les paysages ne sont pas meurtris par l’industrialisation, où la nature et les peuples indigènes ont conservé une formidable virginité, permettant encore tous les possibles. Le jeune Jünger s’engage dans la Légion Etrangère pour concrétiser ce rêve, pour pouvoir débarquer dans ce continent nouveau, perclus de mystères et de vitalité. 1914 lui donnera, à lui et à toute sa génération, l’occasion de sortir d’une existence alanguissante. Dans la même veine, Drieu La Rochelle parlera de l’élan de Charleroi. Et plus tard, Malraux, de “Voie Royale”. A “gauche” (pour autant que cette dichotomie politicienne ait un sens), on parlera plutôt d’ “engagement”, où ce même enthousiasme se retrouvera surtout lors de la Guerre d’Espagne, où Hemingway, Orwell, Koestler, Simone Weil s’engageront dans le camp des Républicains, et Campbell dans le camp des Nationalistes, qui fut aussi, comme on le sait, chanté par Robert Brasillach. L’aventure et l’engagement, dans l’uniforme du soldat ou des milices phalangistes, dans les rangs des brigades internationales ou des partisans, sont perçus comme antidotes à l’hyperformalisme d’une vie civile sans couleurs. “I was tired of civilian life, therefore I joined the IRA”), est-il dit dans un chant nationaliste irlandais, qui, dans son contexte particulier, proclame, avec une musique primesautière, cette grande envolée existentialiste du début du 20ième siècle avec toute la désinvolture, la verdeur, le rythme et la gouaille de la Verte Eirinn.

 

Ivresses? Drogues? Amoralisme?

 

Mais si l’engagement politique ou militaire procure, à ceux que le formalisme d’une vie civile, sans plus aucun relief ni équilibre traditionnel, ennuie, le supplément d’âme recherché, le rejet de tout formalisme peut conduire à d’autres attitudes, moins positives. Le dandy, qui quitte la pose équilibrée de Brummell ou la critique bien ciselée de Baudelaire, va vouloir expérimenter toujours davantage d’excitations, pour le seul plaisir stérile d’en éprouver. La drogue, la toxicomanie, la consommation exagérée d’alcools vont constituer des échappatoires possibles: la figure romanesque créée par Huysmans, Des Esseintes, fuira dans les liqueurs. Thomas De Quincey évoquera les “mangeurs d’opium” (“The Opiumeaters”). Baudelaire lui-même goûtera l’opium et le haschisch. Ce basculement dans les toxicomanies s’explique par la fermeture du monde, après la colonisation de l’Afrique et d’autres espaces jugés vierges; l’aventure réelle, dangereuse, n’y est plus possible. La guerre, expérimentée par Jünger, quasi en même temps que les “drogues et les ivresses”, cesse d’attirer car la figure du guerrier devient un anachronisme quand les guerres se professionnalisent, se mécanisent et se technicisent  à outrance.

 

Autre échappatoire sans aucune positivité : l’amoralisme et l’anti-moralisme. Oscar Wilde fréquentera des bars louches, exhibera de manière très ostentatoire son homosexualité. Son personnage Dorian Gray devient criminel, afin de transgresser toujours davantage ce qui a déjà été transgressé, avec une sorte d’hybris pitoyable. On se souviendra de la fin pénible de Montherlant et on gardera en mémoire l’héritage douteux que véhicule encore aujourd’hui son exécuteur testamentaire, Gabriel Matzneff, dont le style littéraire est certes fort brillant mais dans le sillage duquel de bien tristes scénarios se déroulent, montés en catimini, dans des cercles fermés et d’autant plus pervers et ridicules que la révolution sexuelle des années 60 permet tout de même de goûter sans moralisme étriqué à beaucoup de voluptés gaillardes et goliardes. Ces drogues, transgressions et sexomanies bouffonnes constituent autant d’apories, de culs-de-sac existentiels où aboutissent lamentablement quelques détraqués, en quête d’un “supplément d’âme”, qu’ils veulent “transgresseur”, mais qui, pour l’observateur ironique, n’est rien d’autre que le triste indice d’une vie ratée, d’une absence de grand élan véritable, de frustrations sexuelles dues à des défauts ou des infirmités physiques. Décidément, ne “chevauche pas le  Tirgre” qui veut et on ne voit pas très bien quel “Tigre” il y a à chevaucher dans les salons où le vieux beau Matzneff laisse quelques miettes de ses agapes sexuelles à ses admirateurs un peu torves...

 

Ascèse religieuse

 

L’alternative véritable, face au monde bourgeois, des “petits jobs” et des “petits calculs”, moqués par Hannah Arendt, dans un monde désormais fermé, où aventures et découvertes ne sont plus que répétitions, où la guerre est “high tech” et non plus chevaleresque, réside dans l’ascèse religieuse, dans un certain retour au monachisme de méditation, dans le recours aux traditions (Evola, Guénon, Schuon). Drieu la Rochelle évoque cette piste dans son “Journal”, après ses déceptions politiques, et rend compte de sa lecture de Guénon. Les frères Schuon sont exemplaires à ce titre : Frithjof part à la Légion Etrangère, arpente le Sahara, fait connaissance avec les soufis et les marabouts du désert ou de l’Atlas, adhère à une mystique soufie islamisée, part ensuite dans les réserves de Sioux aux Etats-Unis, laisse une œuvre picturale étonnante et époustouflante. Son frère, nommé le “Père Galle”, arpente les réserve améridiennes d’Amérique du Nord, traduit les évangiles en langue sioux, se retire dans une trappe wallonne, y dresse des jeunes chevaux à la mode indienne, y rencontre Hergé et se lie d’amitié avec lui. Des existences qui prouvent que l’aventure et l’évasion totale hors du monde frelaté de l’occidentisme (Zinoviev) demeure possible et féconde.

 

Car la rébellion est légitime, si elle ne bascule pas dans les apories ou ne débouche pas sur un satanisme de mauvais aloi, comme dans certaines sectes néo-païennes, plus ou moins inspirées par les faits et gestes d’un Alistair Crowley. Ce dérapage s’explique : la rébellion, faute de cause, devient hélas service à Satan, lorsque le mal en soi  —ou ce qui passe pour le “mal en soi”—  est devenu l’excitation existentielle considérée comme la plus osée. Dans un monde désenchanté, comme le nôtre, livré aux plaisirs stupides et passifs fournis par les médias, ce satanisme, avec son cortège sinistre de gesticulations absurdes et infécondes, séduit des esprits faibles, comme ceux qui traînent, par puritanisme mal digéré et mal surmonté, dans les salons où agit Matzneff et “passivent” ses voyeurs d’admirateurs. Ce n’est en tout cas pas l’attitude que souhaitait généraliser Brummell.

 

Robert STEUCKERS,

Forest/Flotzenberg, Vlotho im Weserbergland, mai 2001.

 

Note:

(*) : Otto MANN, “Dandysmus als konservative Lebensform” in: Gerd-Klaus KALTENBRUNNER (Hrsg.), Konservatismus International, Seewald Verlag, Stuttgart, 1973, ISBN 3-51200327-3, pp.156-170.

vendredi, 18 juillet 2008

Saint-Exupéry: donner un sens à l'homme

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Klaus HORNUNG :

 

Antoine de Saint-Exupéry: donner un sens à l’homme

Où est donc passé le temps, désormais lointain, où les ouvrages de Saint-Exupéry remplissaient les vitrines des libraires et que leurs tirages atteignaient les centaines de milliers d’exemplaires, notamment la trilogie des romans d’aviation: “Courrier Sud”, “Vol de nuit”, “Terre des hommes” ; et aussi “Pilote de guerre”. “Le Petit Prince”, édité en français en 1946 et seulement en 1952 en allemand, avec son tirage de plus de quatre millions d’exemplaires, trouve encore des lecteurs aujourd’hui, surtout dans les maisons où souffle encore l’esprit de la “Bildungsbürgertum”, de la bourgeoisie lettrée et cultivée, et chez les adolescents. “ La Citadelle ” (1948) paraît en Allemagne en 1951 et est demeuré une lecture incontournable pour ceux qui aiment la réflexion et pour les conservateurs éthiques parmi nos contemporains. La figure centrale de cette oeuvre, le Grand Caïd (*), le Prince des sables sahariens, a reçu quelques fois le sobriquet de “Zarathoustra du désert”.

Saint-Ex’, comme l’appelaient ses amis, appartenait à la génération dite de l’  « éveil spirituel » qu’ont connu nos voisins français après la Grande Guerre. Cette génération comptait notamment Jacques Maritain, Georges Bernanos, François Mauriac, Gabriel Marcel, André Malraux et Emmanuel Mounier. Ce fut un courant intellectuel fort fertile, interrompu seulement par le nihilisme sans consistance du mouvement de mai 68. Aujourd’hui, deux générations après Saint-Exupéry, né le 29 juin 1900, le caractère indépassable de son œuvre et de sa pensée réémerge à la conscience de quelques-uns de nos contemporains.

Marqué par les bouleversements de son époque, Saint-Exupéry appartient à la grande tradition de l’humanisme occidental, à cette chaîne qui part de Platon pour aboutir à Pascal et à Kierkegaard, en passant par Saint Augustin ; il est, lui aussi, un de ces grands chercheurs de Dieu en Occident, même si l’on peut considérer que sa pensée ne débouche jamais sur les certitudes et la tranquillité des églises traditionnelles. Sa biographie indique la juxtaposition de deux attitudes divergentes: d’une part, il y a l’homme extraverti, qui est pilote ou reporter, qui relate ses impressions du Moscou de Staline ou de la guerre civile espagnole dans les années 30, et, d’autre part, il y a l’homme introverti, proche de la mélancolie, qui produit des méditations et des maximes à la façon des grands moralistes de son pays.

Sans poésie, sans couleur, sans amour et sans foi

Au moment où éclate la seconde guerre mondiale en septembre 1939, le pilote de l’aéropostale, déjà mondialement connu, qui amenait le courrier en Afrique occidentale et en Amérique du Sud, est mobilisé dans la force aérienne française. Son unité, après l’armistice, est repliée sur Alger. Pendant l’automne de l’année 1940, il revient en métropole. Il visite Paris occupé en compagnie de Pierre Drieu la Rochelle , pour se faire une idée de la situation nouvelle.

En décembre 1940, il se rend en bateau à New York, où il écrit « Pilote de Guerre », qui deviendra bien vite un best-seller aux Etats-Unis et en France, du moins jusqu’à son interdiction par les autorités d’occupation. Le départ de Saint-Exupéry pour les Etats-Unis fut sans conteste une décision patriotique contre l’occupation allemande et, plus encore, contre le totalitarisme national-socialiste.

En mai 1943, Saint-Exupéry se remet à voler, d’abord dans une escadrille américaine, équipée de Lightning et basée en Afrique du Nord, puis dans une escadrille de la « France Libre », basée en Sardaigne puis en Corse. Âgé de 44 ans, le 31 juillet 1944, il ne revient pas de son dernier vol de reconnaissance.

A Alger, il écrit, fin 1942, sa fameuse « Lettre aux Français », qui montre bien qu’il ne se considérait pas comme un simple « partisan » du gaullisme. A ce moment-là du conflit, alors que Vichy est déjà politiquement mort, il en appelle à la réconciliation des deux Frances, celle du Général de Gaulle et celle du Maréchal Pétain. Il ne s’agit pas de se poser en juge de la situation, écrivait-il, mais de dépasser les clivages politiques et intellectuels de la nation, ceux posés par les royalistes et les conservateurs, par tous les autres jusqu’aux socialistes et aux communistes,  par tous les partis et cénacles cherchant à obtenir des postes politiques après la guerre. L’ennemi commun, pour Saint-Exupéry, s’incarnait dans les deux systèmes totalitaires : le marxisme, qui entendait rabaisser l’homme au statut de producteur et de consommateur et voyait dans la distribution du produit social le problème politique central ; et le nazisme « qui enferme hermétiquement les non-conformistes dans un camp de concentration », qui considère les masses comme un « troupeau de bétail à sa disposition », qui élimine le grand art par la diffusion de « chromos de couleurs » et ruine la culture humaine.

Dans sa « Lettre à un général », paru en juillet 1943 à Tunis, Saint-Exupéry affiche une fois de plus son indépendance d’esprit, lorsqu’il dit déceler du « totalitarisme » également dans la coalition anti-hitlérienne et le dénonce ouvertement : dans le monde industriel occidental, l’humanité « des robots et des termites » se répand, oscillant entre la chaîne de production et le jeu de skat ou de cartes aux moments de loisir.

Saint-Exupéry avait en horreur cette tendance de l’homme à la « vie grégaire », à cette existence vouée à l’éphémère, se réduisant à se préoccuper de « frigidaires, de bilans et de mots croisés », « sans poésie, sans couleurs, sans amour et sans foi » : c’est en effet un monde de décadence qui soumet, via la radio, les robots « propagandifiés » de l’ère moderne. Par des remarques d’une très grande pertinence, Saint-Exupéry critiquait le système capitaliste, pour la façon dont il s’était développé au 19ième siècle, générant ouvertement le « doute spirituel ». Ses critiques s’adressent également au système des « valeurs cartésiennes » qui induit une seule forme de raison rationaliste, étroite et unilatérale, se développant au détriment de toute véritable vie spirituelle. Celle-ci ne commence que « si l’on reconnaît un être unique par-dessus la matière et par le truchement de l’amour et que l’on prend, pour cette être, une responsabilité ».

Deux ans avant la fin de la guerre, le penseur et moraliste Saint-Exupéry, dans son uniforme de pilote, se demandait pourquoi l’on combattait, finalement, et quelles allures prendrait l’avenir. Il se demandait si, après la guerre, tout tournerait autour de la « question de l’estomac », autour de l’aide alimentaire américaine comme en 1918-19. Le vieux continent connaîtra-t-il, sous la pression du communisme soviétique avançant vers l’Europe centrale, une crise de cent ans sous le signe d’une « épilepsie révolutionnaire » ? Ou bien une myriade de néo-marxismes se combattront-ils les uns les autres, comme il l’avait vu pendant la guerre civile espagnole ? Cette Europe retrouvera-t-elle un « courant puissant de renouveau spirituel » ou bien « trente-six sectes émergeront-elles comme des champignons pour se scinder immédiatement », ? Saint-Exupéry dénonçait ainsi anticipativement ce monde dépourvu d’orientation que le Pape Benoit XVI, aujourd’hui, désigne sous le terme de « dictature du relativisme ».

Des communautés dans les oasis et près des sources

La quintessence de sa pensée, Saint-Exupéry nous la livre dans son ouvrage posthume, «  La Citadelle  ». Il avait vécu très concrètement le désert, lors de ses longs vols et de ses nombreux atterrissages forcés, comme un espace de dangers imprévisibles ou comme un lieu d’où vient le salut. Il avait connu sa dimension menaçante tout comme les points d’ancrage que sont ses oasis avec leur culture humaine. Le désert, dans cette œuvre littéraire et philosophique, devient l’équivalent de la vie de l’individu et de la communauté des hommes, pour les défis lancés à l’homme par un monde ennemi de la Vie , un monde où il faut se maintenir grâce à des vertus comme la bravoure et le sens de la responsabilité, à l’instar du soldat dans le fort isolé en plein dans ce désert, où, en ultime instance, il s’agit de construire des villes et des communautés viables, dans les oasis et près des sources.

Un scepticisme conservateur contre le monde moderne des masses

«  La Citadelle  » équivaut, sur le plan méditatif, à l’existence de l’homme en communauté et au  sein d’un Etat. A la tête de cette « Citadelle » se trouve le Caïd, avatar du philosophe-roi de Platon, qui mène le combat éternel contre le relâchement et le déclin, qui appelle à ce combat, qui l’organise. Il a besoin de la communauté de beaucoup. Saint-Exupéry le décrit, ce Grand Caïd, non comme un dictateur mais comme un Prince empreint de sagesse, comme un père rigoureux, moins César qu’Octave/Auguste. A la vérité, Antoine de Saint-Exupéry est proche du scepticisme des conservateurs face au monde moderne des masses et de leurs formes démocratiques dégénérescentes. Ces formes nous conduisent assez facilement au danger qui nous guette, celui de l’entropie et de l’anarchie. Les masses verront alors un sauveur en la personne du prochain dictateur, exactement selon le schéma cyclique de l’histoire et de la vie politique que nous avait révélé Platon ; la prétendue « libération » de l’individu débouche rapidement sur le déclin et l’effondrement de la culture et de l’homme. La direction politique ne peut donc se limiter à viser des objectifs matériels ou à gérer des processus prosaïques : elle doit essentiellement travailler à consolider la culture et la religion.

Le mot d’ordre récurrent de Saint-Exupéry dans ses méditations, réflexions et maximes est le suivant : « Donner un sens à l’homme », un objectif qui le hisse au-dessus de son « moi », afin qu’il puisse résister aux éternels dangers de l’appauvrissement intérieur, du relâchement et de l’abandon de tous liens (Arnold Gehlen disait : l’ Abschnallen »), tant au niveau de l’individu qu’à celui de la communauté.

Klaus HORNUNG.

(article paru dans « Junge Freiheit », Berlin, n°27/2008 ; trad. Franç. : Robert Steuckers).

(*) Dans la version originale française, Antoine de Saint-Exupéry évoque non pas un « Grand Caïd », mais « le Chef ». La version allemande d’après-guerre ne retient évidemment pas ce terme de « Chef », trop connoté, et préfère le terme berbère « Kaid » alors qu’il aurait peut-être fallu dire le «Kadi », comme Abd-El-Krim fut honoré de ce titre. Nous avons préféré reprendre le terme « Caïd », car, aujourd’hui, parler comme Saint-Exupéry risquerait d’être mal interprété par les tenants de la « rectitude politique », comme on dit au Québec, et nous risquerions de récolter, une fois de plus, force noms d’oiseau et de quolibets.

A relire :

 

Jean-Claude IBERT, « Saint-Exupéry », coll. « Classiques du XXe siècle », Editions Universitaires, Paris, 1960.